Carnaval à Haïti : Quand l’État propose la bamboche dans la galère

Article : Carnaval à Haïti : Quand l’État propose la bamboche dans la galère
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27 janvier 2020

Carnaval à Haïti : Quand l’État propose la bamboche dans la galère

Au milieu d’une crise socio-politique alarmante, le gouvernement d’Haïti annonce l’organisation du carnaval national cette année. Les festivités sont prévues à Port-au-Prince les 23, 24 et 25 février 2020. Parallèlement, l’insécurité grandit. Les victimes par balles se multiplient.

Si les troubles sociopolitiques ont provoqué l’annulation, l’année dernière, des festivités carnavalesques en Haïti, elles auront bien lieu cette année, même si la situation n’a guère évolué. En effet, dans une note signée par le ministre démissionnaire de la culture et de la communication, Jean-Michel Lapin, et publiée le 15 janvier dernier, les autorités ont annoncé le déroulement du carnaval national à Port-au-Prince les 23, 24 et 25 février prochains.

Les exercices pré-carnavalesques sont même déjà lancés dans la capitale haïtienne depuis le dimanche 19 janvier. Parallèlement, certaines communes s’activent également pour organiser leur carnaval. C’est le cas notamment de la ville de Jacmel réputée pour son carnaval prestigieux, qui est prévu cette année du 14 au 16 février autour du thème « Imaj Jakmèl, se imaj pa m » (l’image de Jacmel est la mienne). 

La vague de controverse

Cette année encore, l’organisation du carnaval en Haïti suscite toute une vague de controverse. La conjoncture, pour plus d’un, n’est pas favorable au déroulement du carnaval. L’une des raisons est que depuis quelques temps, le carnaval national est réduit à une grande bamboche populaire, dépouillé de tout son contenu culturel. Sur les réseaux sociaux, les gens n’arrêtent pas de fustiger « le manque d’humanité » des autorités qui s’accrochent à la bamboche pendant qu’une grande partie de la population fait face à l’insécurité alimentaire quand une autre partie, non moins importante, est réveillée chaque matin par les détonations d’armes automatiques.

Le coronavirus qui vient alarmer le monde depuis le début de l’épidémie en Chine s’ajoute aux arguments de ceux qui sont contre le carnaval. Alors que beaucoup de pays, avec des systèmes de santé efficaces, commencent à se préparer pour barrer la route à une éventuelle épidémie de cette maladie, les autorités haïtiennes misent tout sur le carnaval. Le ministère de la santé s’est tout simplement contenté de sortir une note pour rassurer la population que le virus n’est pas encore présent dans le pays. En réalité, ce que la population aurait besoin de savoir, c’est comment le pays fera face au virus s’il arrive en Haïti, tout cela étant possible.

Même certains groupes musicaux, considérés comme des ténors du carnaval haïtien, se sont prononcés contre l’organisation des festivités carnavalesques cette année. L’artiste « Fresh la » du groupe « Vwadezil » comme Roberto Martino du groupe « T-Vice » ont estimé qu’il était anormal de « demander au peuple d’aller danser pendant que l’insécurité bat son plein partout dans le pays » créant un climat où mêmes les policiers ne sont pas à l’abri.

La danse au milieu des armes ?

En effet, il y a autant d’armes illégales dans le pays, si ce n’est pas plus, que d’électeurs ayant voté pour l’actuel Président de la République. Au fait, la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) a révélé en novembre 2019 qu’il y avait près de 500 000 armes à feu illégales en Haïti.

À cela s’ajoute un nombre alarmant de gangs armés dans le pays. Selon la CNDDR, pas moins de 76 gangs armés sont répertoriés en Haïti. La commission précise pourtant que ce chiffre est loin d’être exhaustif. Selon les informations rapportées par Le Nouvelliste, certains de ces gangs comptent même plus d’une centaine de membres. On peut bien se demander comment peut-on danser en paix quand autant d’armes illégales sont en circulation dans le pays ?

Plus près du palais, plus près de la mort

À quelques mètres du palais national, l’insécurité est à son comble. Certaines institutions publiques, comme le Parlement ou le parquet, ne parviennent pas à fonctionner en toute sérénité à cause des bandes armées qui font la loi dans la zone du bicentenaire où se trouvent ces institutions. L‘État n’arrive même pas à garantir la sécurité de ses propres institutions.

Le quartier de Martissant, situé à l’entrée sud de la capitale, échappe complètement au contrôle des autorités. Les gangs armés qui se font la guerre dans cette zone coupent très souvent le grand sud du pays de la capitale. La police est impuissante face à ces gangs qui passent souvent plusieurs jours à échanger des tirs, contraignant les riverains à se cloîtrer chez eux.

Le bilan des derniers affrontements fait état de plusieurs personnes brulées vives, trois personnes sont tuées et plusieurs maisons ont été incendiées sans que les sapeurs-pompiers aient pu intervenir, pour des raisons de sécurité.  

Ainsi, pour beaucoup de gens, organiser un carnaval dans ces conditions, c’est non seulement faire preuve d’une « insensibilité ignoble », mais, c’est aussi créer les conditions pour augmenter le nombre de victimes. Pour preuve, une personne a été tuée par balle dès le premier dimanche pré-carnavalesque au milieu de la foule au Champ de Mars. Des cas qui risquent d’être répétés durant toute la période carnavalesque, considérant le nombre d’armes à feu illégales en circulation dans le pays. Mais tout cela semble ne pas être un souci pour les autorités qui, apparemment, n’ont à offrir pour apaiser la colère d’une population mise à genou et dépouillée de tout moyen de vivre en toute dignité que le carnaval.

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