Le kidnapping est une attaque au bien-être mental et physique de toute la communauté

Article : Le kidnapping est une attaque au bien-être mental et physique de toute la communauté
Crédit: www.osce.org
9 février 2021

Le kidnapping est une attaque au bien-être mental et physique de toute la communauté

Selon des chercheur.e.s haitien.ne.s en psychologie, le kidnapping est une attaque contre le corps et l’esprit de toute la communauté, en l’occurrence les survivant.e.s, leurs parents et toute personne qui en entend parler. En ce sens, préconisent-ils, l’État doit rétablir l’illusion de sécurité des citoyen.ne.s en urgence pour juguler l’épidémie de détresse psychologique qui se déploie actuellement en Haïti.

Guetsie vit depuis quelques temps dans une situation de crispation. Étudiante, c’est par résignation qu’elle prend la route chaque matin pour aller à la faculté d’ethnologie où elle fait des études en psychologie. Depuis que le kidnapping est devenu un effet de mode dans le pays, son train de vie a complètement été chamboulé. « Autrefois, il m’arrivait de sortir un peu, de m’amuser, mais maintenant je ne peux plus me permettre ce luxe : je vis avec la peur croquée à la gorge », témoigne la jeune femme.

Sa vie académique n’en est pas épargnée. « Quand je suis les cours, je suis ailleurs, je m’inquiète en permanence concernant le trajet du retour et ma sécurité sur la route, ca me rend hyper-vigilante », confie-t-elle.

Une peur constante

La situation de Rose Michèle n’est pas différente. Cette étudiante de la faculté des sciences humaines se sent traumatisée depuis l’explosion des cas d’enlèvements contre rançon dans le pays. « Sortir est difficile, aller à la fac, j’en fais une obligation », explique-t-elle. Avant d’ajouter :

La situation de Rose Michèle n’est pas différente. Cette étudiante de la faculté des sciences humaines se sent traumatisée depuis l’explosion des cas d’enlèvements contre rançon dans le pays. « Sortir est difficile, aller à la fac, j’en fais une obligation », explique-t-elle. Avant d’ajouter : «En revanche, quand je me retrouve dans la rue, je suis sous mes gardes, je surveille tout autour de moi

« Je n’ai jamais apprécié rester une journée complète à la maison, mais ces derniers temps j’aurais préféré passer toutes mes journées entre les quatre murs pour être plus ou moins en sécurité », déclare Rose Michèle. Une situation complètement différente pour Guetsie : « J’ai toujours peur, dans la rue tout comme chez moi. Le risque d’enlèvement est en effet partout, même chez moi », dit-elle.

Le kidnappé ou la kidnappée est susceptible de développer des troubles liés au trauma

« Un Kidnapping fait partie de la catégorie d’événements désignés comme potentiellement traumatiques », explique Dr Judite Blanc, psychologue chercheuse basée à New York, travaillant sur les conséquences du stress sur la santé mentale, physique et sur le sommeil. Selon elle, les personnes qui ont vécu directement ou indirectement une situation dans laquelle sa vie a été menacée, est susceptible de développer des troubles liés au trauma (par exemple, un trouble de stress post-traumatique, des troubles de l’humeur, des troubles anxieux). La victime risque aussi de développer des troubles du sommeil.

« Les personnes qui ont été enlevées ou les survivants de prise d’otage peuvent afficher des réactions de stress notamment un sentiment de sidération, d’effroi dû au choc », ajoute Dr Jeff Matterson Cadichon, spécialiste en psychologie clinique et en psychopathologie. Il explique que la personne peut avoir l’impression que la vie n’a plus aucun sens, ou encore développer un sentiment de culpabilité. Par exemple, la personne peut aussi faire l’expérience d’une hypervigilance, provoquée par la peur que l’enlèvement se reproduise. Le Dr. Cadichon rajoute que la personne peut ressentir un engourdissement, de l’anxiété et un sentiment d’impuissance. Cela peut provoquer chez elle un repli sur soi. Elle se met par conséquent en retrait et évite sa famille et ses proches, tout comme ses activités habituelles.

Des impacts et réactions similaires sont possibles chez les personnes qui en entendent parler

« Parfois, entendre le témoignage de certaines victimes me donne du frisson », confie Rose Michèle qui dit s’inquiéter même pour les gens qu’elle ne connait pas. De son côté, Guetsie se voit déjà comme une victime. Elle essaye par tous les moyens de s’armer mentalement, mais elle n’y arrive pas. « Quand je suis dans la rue, parfois j’active toutes mes pensées autour du risque d’être enlevée, pour essayer de travailler dessus », raconte la jeune femme. Mais le risque du kidnapping la suit jusque dans son sommeil. « Parfois, je fais des cauchemars dans lesquels je vois qu’on m’enlève », témoigne-t-elle.

Une réaction normale à une situation anormale selon nos deux experts. « Les cauchemars sont monnaie courante dans les suites d’un vécu d’évènements traumatiques. Ta nuit est souvent le reflet de ta journée. C’est une indication que les gens vivent dans l’angoisse », dit Dr Blanc.  « Dans l’anxiété, la personne va s’imaginer les scénarios les plus catastrophiques (…), cette souffrance peut se traduire à travers des rêves d’angoisse », ajoute Dr. Cadichon. Il précise que le rêve vient signifier à la personne qu’il y a une souffrance psychique en rapport avec la réalité.

Un large spectre de victimes

De ce fait, les victimes du kidnapping ne se réduisent pas aux personnes qui ont été enlevées. On peut même étendre la liste des victimes à des Haïtiens de la diaspora qui sont indirectement touchés par ce phénomène. En effet, certains Haïtiens vivant à l’étranger sont informés de l’enlèvement d’un proche en Haïti. D’autres s’inquiètent à longueur de journée pour la sécurité de leurs proches, au pays. Il y en a aussi qui voudraient rentrer, mais évitent de le faire par peur du kidnapping.

« Cette situation peut avoir des conséquences à long terme sur la santé mentale et pourrait affecter l’ADN des individus », dit Dr Blanc. D’autant plus que le kidnapping s’installe et devient une menace constante et sans issue à l’horizon. En ce sens, de la catégorie d’événements traumatiques, le kidnapping devient un facteur de stress chronique. « Une expérience prolongée à ces facteurs de stress chronique, en absence de prise en charge, peut amener pour la personne affectée des troubles mentaux, tels les troubles de l’humeur (troubles bipolaires et la dépression majeure), les troubles anxieux et du sommeil, et les maladies cardiométaboliques (ex : l’hypertension)… », explique Dr Judite Blanc.

Voilà pourquoi il est devenu une urgence d’agir, croit Dr Blanc. « Il faut qu’on tire la sonnette d’alarme. L’impact sur la santé mentale est bien réel, il faut agir vite », martèle Dr. Cadichon.

Quelles réponses donner face à ce fléau ?

Selon Dr. Judite Blanc, une gestion efficiente du stress se fera par l’environnement physique, les structures sociales, la santé globale et les comportements de santé. « Dans ce contexte de désastres chroniques en Haïti ; il est capital de se soigner individuellement, collectivement, et d’agir politiquement.»  La chercheuse encourage la population haïtienne à prendre soin de soi, à chercher le soutien familial et social, et à développer des relations de qualité avec les autres. Bien dormir est essentiel (7-8 heures par nuit pour les adultes).

Judite Blanc suggère également de bien gérer le flux de nouvelles qu’on consomme chaque jour. « La santé mentale est une affaire de santé du cerveau aussi, il faut carrément avoir un « worry time » et un « no worry time ». La chercheuse explique également que le cerveau n’est pas habilité à être en mode « anxiété » à longueur de journée. Un minimum de routine est essentiel pour maintenir l’équilibre émotionnel et physiologique.

Il est important de demander justice et reconnaissance

Elle termine en soulignant que les soins individuels ne suffiront pas. L’impuissance face aux ramifications politiques de la crise haïtienne peut alimenter le sentiment de détresse. Pour elle, la communauté devrait documenter ce vécu traumatique en créant des associations de personnes affectées par le kidnapping, le viol et les troubles mentaux associés, et éventuellement remonter à la Cour Pénale Internationale. «Cette quête de justice en soi peut se révéler thérapeutique, car il s’agirait de forcer le régime en place, et toutes parties concernées à prendre leur responsabilité vis-à-vis des citoyens et citoyennes qu’ils sont censé protéger», explique-t-elle. L’impunité agit sur le processus de guérison pour la chercheuse. L’État doit rétablir le sentiment de sécurité qui est vital à l’équilibre émotionnel. Un individu angoissé est un citoyen dysfonctionnel. «Le sentiment de sécurité interne et externe est un prérequis au développent humain et économique » soutient-elle.

« Il faut voir le problème sur le plan systémique. Le contexte, l’environnement, les politiques publiques mises en place, la situation socio-économique…il y a beaucoup de facteurs de risques qui entravent la santé mentale des individus », affirme Jeff M. Cadichon. « Pour les personnes qui ont été enlevées, il faut des soins médicaux en urgence, un environnement sécurisé, avoir des proches qui sont là pour eux », conseille l’auteur de « Narrations du sensible ». « La santé politique peut avoir des incidences sur la santé mentale des citoyens », conclut le spécialiste en psychologie clinique et en psychopathologie.

Partagez

Commentaires