«Madanm» et « Mennaj», coup d’œil sur l’évolution de deux mots créoles

Article : «Madanm» et « Mennaj», coup d’œil sur l’évolution de deux mots créoles
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18 décembre 2019

«Madanm» et « Mennaj», coup d’œil sur l’évolution de deux mots créoles

Quand on observe bien, en créole, à l’heure actuelle, une «mennaj» peut être une «madanm» tout comme elle peut-être une petite amie qui joue un rôle second, le sachant ou non. Un constat plutôt épatant.

La société ne cesse d’évoluer. Chaque jour, de nouvelles pratiques et mœurs surgissent. Dans cette constante évolution des pratiques sociales, la langue ne reste pas non plus inerte. Elle bouge au rythme de l’évolution de la société. Le sens des mots peut ainsi changer en fonction des époques, des valeurs et des idéologies qui marquent les époques.

Le mot « Limena» dans la langue créole nous fournit un exemple assez pertinent. Il y a quelques années de cela, une «Limena» était une femme qui possède de grands moyens économiques. Une femme qui pouvait répondre à ses besoins sans recourir à l’aide d’une tierce personne. La « limena» avait une certaine largesse dans ses dépenses, elle faisait rêver d’autres femmes. Elle pouvait normalement se vêtir des toutes nouvelles lignes de vêtements.  

Force est de constater qu’en 2019, le mot «Limena» ne renvoie plus uniquement à cette réalité. De nos jours, est «Limena» celle qui est présente dans tous les programmes de « rabòday » et connait tous les tours de rein. 

Les deux mots «Madanm» et « Mennaj», qui nous intéressent dans ce papier, ont connu des variations tout aussi intéressantes. Toute personne qui connait la langue  créole comprend vite à quoi se réfèrent ces deux mots traditionnellement. Une piqûre de rappel ne faisant pas mal, donnons les définitions longtemps connues de ces mots.

« Madanm« 

Dans le créole haïtien, on a découvert jusque-là que le mot « madanm » peut prendre deux sens :

  • d’une part, utilisé dans certains contextes et dans certaines tournures syntaxiques, il peut signifier tantôt une personne adulte de sexe féminin, tantôt « madame ». Certaines fois, il est remplacé par le mot « madam » ou tout simplement « dam ».

Quelques exemples : « madanm sa a pa rete nan zòn nan lontan ». Cette phrase se traduit littéralement en français : « Cette femme n’habite pas depuis trop longtemps dans la zone ». Dans la phrase : « Lè madanm lan vini l ap kontan », on entrevoit le sens de « madame », mais en réalité si l’on veut traduire, « madanm », utilisé dans cette phrase, renvoie plutôt à « maîtresse de maison ». (Lorsque la maîtresse [de la maison] rentre, elle sera contente.)

Autres exemples :

« Tanpri madanm, sispann pale… » : (Je vous en prie madame, cessez de parler…)

« Bonswa madam » :(Bonsoir madame) (L’on précise que certaines personnes disent « bonswa madanm », selon nos observations).

« Se yon bèl dam » : (C’est une belle dame (ou femme) ;

  • d’autre part, le mot « madanm » est la traduction créole du mot « épouse » ou « concubine ».

Exemples : « Madanm mwen rele Katya » se traduit « Mon épouse (ma femme) s’appelle Katia ». De même, « Jak gen yon bèl madanm » se traduit « Jacques a une belle femme ».

On doit faire remarquer que devant les noms propres, le mot a tendance à perdre le « m » final pour devenir « Madan ». On dit « Madan Jan, Madan Pyè… »

« Mennaj« 

De son côté, le mot « Mennaj », quand il ne traduit pas le « ménage » français (« Mwen t ap fè mennaj nan kay la » pour « Je faisais le ménage », renvoie à « Petit.e ami.e ». Exemple : « Mennaj ou bèl » se traduit « Votre petit.e ami.e est joli.e ».

Les nouveaux sens de ces mots

En 2019, quand un homme parle de sa « madanm », ce n’est pas forcément une épouse avec laquelle il partage un toit, ni même une concubine. Une « madanm » peut tout simplement être une petite amie. Mais, c’est celle qu’il préfère. L’on comprend que, entre jeunes surtout, le mot « mennaj » (lorsqu’il désigne vraiment une petite amie avec laquelle on fait des projets pour l’avenir) est utilisé de moins en moins. Les jeunes préfèrent dire « madanm » quand ils parlent de leur dulcinée.

Parallèlement, le mot « mennaj », comme pour rester en vie, va désigner une autre catégorie de petite amie, celle d’à côté qui joue un rôle second. Il définit aussi ce qu’on a toujours appelé « maitresse » dans les relations extraconjugales. C’est-à-dire, un homme marié qui voit une autre femme a donc une « mennaj ». On peut donc avoir plusieurs « mennaj » à côté de sa « madanm ».

Vous avez probablement déjà vu ou entendu, sur les réseaux sociaux ou dans la vie courante, des déclarations comme : « kilè w ap prezante mennaj ou madanm ou ? (Quand est-ce que tu vas présenter ta petite amie à ta femme ?). On est donc clair : « Madanm » peut, outre l’épouse, être la petite amie « officielle » tout comme « mennaj » est certaines fois « une autre petite amie » qui joue un rôle second.

Il faut remarquer néanmoins que les jeunes ne sont pas toujours à l’aise de dire « madanm » quand ils parlent de leur petite amie avec des adultes. Ils utilisent encore le mot « mennaj ». Mais pour combien de temps ? L’on sait tout au moins que la langue continuera d’évoluer à mesure que les hommes et les femmes changent leurs pratiques dans la société

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