Nègre et blanc, pas seulement une affaire de couleurs en Haïti
La construction du sens des mots est un phénomène plutôt intéressant. L’on constate que le sens des mots ne se construit pas en dehors de la réalité socio-culturelle et historique d’un peuple. Si les mots d’une langue voyagent d’un pays à l’autre, ils ne gardent pas toujours leur sens premier. Ici, nous allons le voir avec les deux mots: Nègre et Blanc.
En Haïti, les mots « nègre » et « blanc » ne charrient pas toujours une question de couleur. L’utilisation de ces mots renvoie tantôt à des valeurs tantôt à une question ontologique.
Ici, je compte juste attirer votre attention sur les différents sens que ces mots peuvent prendre en Haïti. Au premier abord, l’on aurait cru que parler de « nègre » renverrait à la couleur de peau de la majorité des Haïtiens. Et le mot « blanc » devrait qualifier ceux qui appartiennent à la « race blanche ».
Toutefois, ces deux mots servent à décrire d’autres réalités en Haïti. Des valeurs ou de simples qualités. Allons voir ce que traduisent « nègre » et « blanc » pour les Haïtiens. Pas besoin de parler du sens premier de ces mots. Le dico nous dira que blanc est celui qui appartient à la « race blanche ». Et nègre est une personne de « race noire ».
Blanc : un étranger
En Haïti, le blanc est souvent un étranger. Celui qui vient d’un autre pays. Peu importe le pays. Comment on vous appelle ailleurs ? Noir ? Negro ? Blanc ? Jaune ? Venez en Haïti et vous serez appelés blancs.
Haïti est ce pays où l’on ose appeler un africain un « blanc africain ». Oxymorique, non ? L’on entendra aussi appeler l’ « afro-américain » un « blanc noir ». La couleur importe peu ici. Tout étranger est un « blanc ». Même le dominicain qui habite l’autre bout de l’ile d’Haïti est appelé blanc en Haïti.
Blanc américain, blanc français ou, comme je l’ai dit, blanc africain. Pour les distinguer, on sert du nom de leurs pays d’origine.
Blanc : un sérieux
L’Haïtien sérieux est un blanc. Héritage colonial. C’est un peuple qui a connu l’esclavage. On lui a fait croire que tout ce qui est de bon est du « blanc ». Si vous avez un rendez-vous et vous venez à l’heure, en Haïti, vous êtes un blanc.
On dira que vous êtes un « blan gason » (garçon blanc) si vous respectez toujours vos engagements. Celui qui honore toujours ses promesses est un « blan gason ».
Blanc : un intelligent
À l’école, l’élève le plus doué en maths est un blanc. Mais bon, pas seulement en maths. Tout élève studieux et brillant est un « blanc ». « Ce type est un véritable blanc », on entend souvent cette phrase. Comme si l’intelligence était la simple affaire des blancs. Là encore, c’est le genre d’idées fabriquées à coups de marteaux aux temps de la colonisation.
Celui qui excelle dans quel que soit le domaine est un blanc. Un ingénieur Haïtien peut être un « blanc » de la construction. En informatique, encore plus. « Celui-là est un blanc en informatique », dira-t-on. Et ainsi de suite.
Nègre : un être humain
Je vais m’arrêter là. Mais avant, parlons du mot « nègre ». Chez nous, nègre ne veut pas toujours dire noir. Croyez-moi ! Un « nèg » (traduction créole du mot) est un être humain de sexe masculin. Peu importe sa couleur de peau. Si vous êtes de teint clair, les Haïtiens vous appelleront un « nègre rouge ». L’homme noir est un « nègre noir ». Vous comprenez, hein ?
De même qu’on qualifie l’homme noir de blanc en Haïti s’il est d’un autre pays, le blanc pour un Haïtien est un nègre. Car, nègre est synonyme d’homme. Les Haïtiens diront par exemple « ce blanc est un bon vieux nègre ». À ce sujet, l’histoire nous enseigne que Jean-Jacques Dessalines, le père de l’indépendance, dans sa première constitution, a fait de tous les Haïtiens des noirs. Et ce, au-delà de la couleur de peau. Dessalines a voulu ainsi éliminer les préjugés de couleur dans le pays.
Vous avez tout compris j’espère. Voyons cela. « Ce nègre est un véritable blanc ». Cette phrase veut dire quoi selon vous ?
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