Ritzamarum Zétrenne

« 18 ans » de Zenglen, masterclass de Réginald Cangé à redécouvrir

J’étais et je reste un grand fan d’Armstrong Jeune et de son groupe New York All Stars. Avec ma grande sœur Mona Zétrenne, je devais à tout prix écouter N ap fè yo sezi chaque dimanche matin pendant que notre mère préparait à manger. Pour nous, il y a des musiques du dimanche. Nous n’avions pas de critères. Mais certaines chansons ne devaient guère manquer à notre playlist du dimanche. N’ap fè yo sezi de New York All Stars, Lè n ap fè lanmou de Mizik Mizik, Bò kote w de Carimi, Our love is for ever, Body and soul, Se kreyòl nou ye de Zenglen, etc. etc.

J’ai toujours été un amoureux de la bonne musique. Mais Zenglen a été mon groupe de cœur, un tout petit peu plus que K-dans. Et quoiqu’il arrive, avec ou sans les chanteurs que j’aime. D’ailleurs, si Jean Brutus Derissaint a un seul fan, c’est bien moi. J’aime sa voix atypique et son grand talent. Maestro Brutus est une richesse pour le Compas. Autant vous dire que j’aimerai toujours ce groupe car je ne pense pas que Brutus quittera Zenglen un jour. Bref.

Comme vous tous (bon, je suppose), le single 5 sens+1 interprété par Réginald Cangé, nouveau chanteur du groupe au départ de Gracia Delva, m’avait conquis dès sa sortie. Mais l’album qui allait sortir (5 étoiles), un classique du groupe, m’a offert une chanson qui produit encore aujourd’hui des frissons en moi : « 18 ans ». 

Si l’on considère l’ensemble des titres de l’opus 5 étoiles, 18 ans n’a pas été la chanson qui a connu le plus de succès. La chanson éponyme de l’album, tout comme FKD, Child Support et même I need you ont connu un plus grand succès. Mais « 18 ans » a toujours été ma chanson préférée sur cet album.    

Écoutez la chanson 18 ans de Zenglen

La chanson raconte l’histoire d’une fille de 18 ans devenue folle et morte par la suite, après être tombée amoureuse d’un homme qui l’a dupée. C’est une fille qui faisait battre le cœur de tout son quartier, mais qui voulait s’offrir uniquement à l’homme qui ferait battre son cœur en retour. Dommage, celui qui a réussi est un menteur, un profiteur qui ne voulait que s’envoyer en l’air avec elle, et cracher sur sa dignité et son honneur, un peu comme l’homme que Shérifa Luna décrit dans sa chanson « Il avait les mots ». Voilà pourquoi elle est devenue folle, et meurt quelques temps après dans une détresse implacable, plongeant sa famille et ses proches dans une profonde désolation. Grande tragédie dont on pourrait s’inspirer pour réaliser un film. 

L’histoire fait corps avec une mélodie agréable et élégiaque qui déchire le cœur. 18 ans est le résultat d’une orchestration ingénieuse ou chaque partition vous transporte ébahi. Et la voix de Réginald Cangé qui exécute des notes que lui seul peut atteindre dans le Compas fait de cette chanson un vrai bijou. Sur « 18 ans », à mon avis, Réginald réalise une masterclass dont on ne parle pas souvent. C’est un colossal travail de vocaliste qu’il réalise sur cette chanson. On peut enlever tout le band et laisser Réginald interprété cette chanson accompagné seulement d’une guitare ou même a capella, 18 ans fera encore le bonheur de nos tympans.  

La chanson reste encore aujourd’hui l’une de mes chansons Compas préférées, et reste l’une de mes chansons préférées de Zenglen avec « Fidèl », « Body and soul », « Lanmou s on jwèt aza », « Rèv mwen » et « Gratitude ». 18 ans est pour moi un classique, une superbe chanson dont la fraîcheur restera intacte que vous l’écoutez en 2022 ou en 2100.   


La radio, ma vie!

En vrai, la radio ne m’a pas laissé le choix. Au début, c’était pour moi un monde suspendu où je m’évadais pour me donner un peu d’estime. Aujourd’hui, c’est mon monde. La radio m’a donné une vie et la sauve de temps en temps.  

Comme un jeu d’enfant

Quand la bagarre a éclaté ce jour-là, c’était un dimanche soir, tout le monde s’attendait au pire, tout le monde voulait fuir pour éviter le pire. Sauf quelques personnes vaillantes ou imprudentes qui voulaient être au cœur de l’événement. C’était devenu une habitude que les matchs se terminent en bagarre dans le quartier depuis le départ du président Jean-Bertrand Aristide pour l’exil. Ce championnat de vacances était comme un prétexte pour les partisans de Fanmi Lavalas, le parti d’Aristide, et les GNBistes de s’affronter de temps en temps.  

J’avais raté la plupart des matchs car des hommes armés sont toujours présents à chaque rencontre, soit pour faire le show soit pour créer la bagarre au cas où l’arbitre prendrait une décision contre leurs équipes. Mais je ne pouvais pas rater la finale qui opposait l’équipe de “Vieux-Chaudière”, la petite localité où j’ai grandi, et celle du quartier de “Mango Marion”. La bagarre a éclaté quelques minutes avant la fin du match.  

A l’époque, j’avais comme par hasard trouvé un enregistreur à la maison. Il appartenait à mon grand frère, Geliome, qui aimait acheter les gadgets même s’il ne va jamais s’en servir. Puisque j’avais le petit appareil sur moi, je me suis imprudemment jeté au milieu de la foule pour enregistrer l’ambiance, mais aussi en simulant un direct. Pour moi, c’était beau, c’était important. C’est pourquoi, une fois rentré chez moi, je faisais écouter l’enregistrement à mon grand frère pour vanter mes talents de journaliste.  

En vrai, je voulais ressembler un peu à Emmanuel Louiceus qui était journaliste correspondant de la radio Ibo à Port-au-Prince. Emmanuel, à mes yeux, était un homme important, un intellectuel s’il peut travailler pour un média de la capitale. J’ai voulu être comme lui. Et être comme lui, pour moi, c’était de faire de la radio. J’étais en 7eme année fondamentale au lycée Faustin Soulouque de Petit-Goâve.  

Comme une blague

Plus je grandis, plus je me rapproche de la radio. En première année du secondaire, sous l’influence de Frenel Sterlin, mon professeur de Biologie, j’avais pensé à faire de la médecine quand j’aurai terminé mes études classiques. Mais j’allais vite abandonner cette voie une fois découvrir mon hématophobie.  Quelque temps plus tard, puisqu’il fallait rêver, j’ai voulu devenir écrivain-poète.

A Petit-Goâve, tous les jeunes veulent devenir écrivain 😂. A Petit-Goâve, un homme, ça écrit des poèmes et ça rend le monde plus beau et plus potable. Tantôt j’écrivais, tantôt je disais des poèmes dans les clubs littéraires et dans les fêtes du lycée. Le plus brillant de nous tous a été Lesaindieu Joseph. Il se faisait appeler Lobo (Karl Marcel Casseus) et comme il fallait donner un nom à chacun de nous, il m’appelait Rimbaud. Nous y avons cru.  

C’est par une blague que mon histoire avec la radio a commencé alors que j’étais en classe de rhéto. Au fond de ma salle de classe, c’était un plaisir pour moi de dire dans une voix de comédien voix off “Bon bèt FM” pour taquiner mon professeur de Géologie, Patrick Alezy qui n’a jamais raté une occasion de vanter son cours en disant tout le temps “se bon bèt l ap bay” (c’est un savoir solide qu’il transmet). Alezy a aimé ma façon de répéter cette phrase et il voyait en moi un futur animateur de radio.  

Après le cours, il s’est entretenu avec moi pour me demander si j’étais intéressé à la radio. Je lui ai répondu affirmativement sans trop savoir ce qui m’attendait. Il m’a donc donné rendez-vous à la radio Echo 2000 inter qu’il dirigeait. Le jour même, un samedi du mois de mai 2010, Patrick Alezy m’a confié l’émission culturelle Priorité-Culture. Pour me mettre sur la voie, il m’a donné deux livres qui parlent de l’histoire des médias en Haïti et de la presse.  

Moi en mai 2010 au studio de la radio Echo 2000 inter, à Petit-Goâve

Un long chemin se dessine

Le courant est vite passé entre la radio et moi. J’ai trouvé dans la radio un endroit où m’accepter tel que je suis. Avant cette aventure, ma voix a été un objet de raillerie partout où je prononce un mot. En réalité, ce n’était pas vraiment ma voix le problème. On riait de moi parce que j’étais très mince (ce n’est pas que j’ai beaucoup changé sur ce point🙈😂) mais j’avais un timbre hyper grave.

En débutant à la radio, ma voix commençait à attirer les gens. C’est à ce moment que j’ai commencé à faire des exercices d’articulation à longueur de journée, à travailler le débit, l’intensité, le rythme, l’intonation … de ma voix pour en faire un instrument de séduction.  

A Petit-Goâve, en très peu de temps, j’étais devenu un véritable orateur et l’un des animateurs de radio les plus adulés. Les gens croyaient en moi. Et moi, j’avais continué à rêver. J’étais un grand fan de RFI, notamment de Couleurs tropicales. Pour être sincère, quand j’animais Priorité – Culture, j’ai toujours essayé de le faire comme Claudy Siar. Mais j’aimais beaucoup d’autres animateurs en Haïti, comme Bregard Anderson et Mickerlange St-Paul (Mike on the Mic).

Claudy Siar et Bregard étaient mes préférés. Encore aujourd’hui, je continue à écouter Claudy et à l’admirer. Bon, bref! 

En écoutant Claudy Siar et en l’imitant, mon rêve de travailler à RFI avait pris forme. J’aimais tellement le slogan : la radio mondiale. Après la philo, mon ami-frère Caleb Marc Bernard Dorce me disait qu’il fallait que je rentre à l’université si je veux être un vrai professionnel de la radio. Après concours, j’ai intégré trois entités de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) : l’Ecole normale supérieure (ENS), la faculté de droits et des sciences économiques (FDSE) et la faculté des sciences humaines (FASCH). Finalement, j’ai choisi la FASCH en vue d’étudier la Communication sociale car elle donne une ouverture sur le journalisme.  

RFI, le rêve devenu réalité

Moi posant au studio de Koze Kilti à Port-au-Prince

En 2015, j’ai intégré le quotidien Le National car il me fallait trouver un emploi. La presse écrite n’a jamais été dans mes plans. Je ne comprenais pas encore que tout journaliste doit savoir écrire qu’on soit à la télé ou à la radio. Mon ami Nocles Debreus aime dire que la presse est d’abord écrite😇. J’ai passé trois ans à écrire pour Le National avec en moi un vide.

En 2018, quand le PDG de la radiotélévision Pacific, également propriétaire du journal Le National, disait qu’il avait besoin de quelqu’un qui sait faire de la radio, je n’ai pas eu le temps de répondre. Tous les collègues à la rédaction m’ont proposé au PDG qui acceptait de me donner ma chance. Je l’ai tout de suite convaincu. En très peu de temps, j’allais devenir coordonnateur et présentateur vedette de l’émission phare de la radio à l’époque (Viv Ayiti) et je présentais une autre émission.  

Mon aventure a la radiotélévision Pacific et au journal le National a pris fin en 2019. Un an plus tard, j’ai intégré la radio Magik 9, Le Nouvelliste et Ticket Magazine. Et mon rêve de toujours, travailler à la radio mondiale, va être concrétisé. Aujourd’hui je présente Koze Kilti en décrochage local en Haïti sur RFI. Ce mois de juin ramène mon premier anniversaire à RFI. Un honneur pour moi, mais aussi le plus grand exploit de ma vie en tant que journaliste jusque-là. C’est la preuve que quand on croit à ses rêves et on travaille rudement, on va finir par les réaliser. 

Je vivrai longuement d’amour et de passion pour la radio. Car c’est l’endroit où je me sens utile tout en m’amusant.  


Le kidnapping est une attaque au bien-être mental et physique de toute la communauté

Selon des chercheur.e.s haitien.ne.s en psychologie, le kidnapping est une attaque contre le corps et l’esprit de toute la communauté, en l’occurrence les survivant.e.s, leurs parents et toute personne qui en entend parler. En ce sens, préconisent-ils, l’État doit rétablir l’illusion de sécurité des citoyen.ne.s en urgence pour juguler l’épidémie de détresse psychologique qui se déploie actuellement en Haïti.

Guetsie vit depuis quelques temps dans une situation de crispation. Étudiante, c’est par résignation qu’elle prend la route chaque matin pour aller à la faculté d’ethnologie où elle fait des études en psychologie. Depuis que le kidnapping est devenu un effet de mode dans le pays, son train de vie a complètement été chamboulé. « Autrefois, il m’arrivait de sortir un peu, de m’amuser, mais maintenant je ne peux plus me permettre ce luxe : je vis avec la peur croquée à la gorge », témoigne la jeune femme.

Sa vie académique n’en est pas épargnée. « Quand je suis les cours, je suis ailleurs, je m’inquiète en permanence concernant le trajet du retour et ma sécurité sur la route, ca me rend hyper-vigilante », confie-t-elle.

Une peur constante

La situation de Rose Michèle n’est pas différente. Cette étudiante de la faculté des sciences humaines se sent traumatisée depuis l’explosion des cas d’enlèvements contre rançon dans le pays. « Sortir est difficile, aller à la fac, j’en fais une obligation », explique-t-elle. Avant d’ajouter :

La situation de Rose Michèle n’est pas différente. Cette étudiante de la faculté des sciences humaines se sent traumatisée depuis l’explosion des cas d’enlèvements contre rançon dans le pays. « Sortir est difficile, aller à la fac, j’en fais une obligation », explique-t-elle. Avant d’ajouter : «En revanche, quand je me retrouve dans la rue, je suis sous mes gardes, je surveille tout autour de moi

« Je n’ai jamais apprécié rester une journée complète à la maison, mais ces derniers temps j’aurais préféré passer toutes mes journées entre les quatre murs pour être plus ou moins en sécurité », déclare Rose Michèle. Une situation complètement différente pour Guetsie : « J’ai toujours peur, dans la rue tout comme chez moi. Le risque d’enlèvement est en effet partout, même chez moi », dit-elle.

Le kidnappé ou la kidnappée est susceptible de développer des troubles liés au trauma

« Un Kidnapping fait partie de la catégorie d’événements désignés comme potentiellement traumatiques », explique Dr Judite Blanc, psychologue chercheuse basée à New York, travaillant sur les conséquences du stress sur la santé mentale, physique et sur le sommeil. Selon elle, les personnes qui ont vécu directement ou indirectement une situation dans laquelle sa vie a été menacée, est susceptible de développer des troubles liés au trauma (par exemple, un trouble de stress post-traumatique, des troubles de l’humeur, des troubles anxieux). La victime risque aussi de développer des troubles du sommeil.

« Les personnes qui ont été enlevées ou les survivants de prise d’otage peuvent afficher des réactions de stress notamment un sentiment de sidération, d’effroi dû au choc », ajoute Dr Jeff Matterson Cadichon, spécialiste en psychologie clinique et en psychopathologie. Il explique que la personne peut avoir l’impression que la vie n’a plus aucun sens, ou encore développer un sentiment de culpabilité. Par exemple, la personne peut aussi faire l’expérience d’une hypervigilance, provoquée par la peur que l’enlèvement se reproduise. Le Dr. Cadichon rajoute que la personne peut ressentir un engourdissement, de l’anxiété et un sentiment d’impuissance. Cela peut provoquer chez elle un repli sur soi. Elle se met par conséquent en retrait et évite sa famille et ses proches, tout comme ses activités habituelles.

Des impacts et réactions similaires sont possibles chez les personnes qui en entendent parler

« Parfois, entendre le témoignage de certaines victimes me donne du frisson », confie Rose Michèle qui dit s’inquiéter même pour les gens qu’elle ne connait pas. De son côté, Guetsie se voit déjà comme une victime. Elle essaye par tous les moyens de s’armer mentalement, mais elle n’y arrive pas. « Quand je suis dans la rue, parfois j’active toutes mes pensées autour du risque d’être enlevée, pour essayer de travailler dessus », raconte la jeune femme. Mais le risque du kidnapping la suit jusque dans son sommeil. « Parfois, je fais des cauchemars dans lesquels je vois qu’on m’enlève », témoigne-t-elle.

Une réaction normale à une situation anormale selon nos deux experts. « Les cauchemars sont monnaie courante dans les suites d’un vécu d’évènements traumatiques. Ta nuit est souvent le reflet de ta journée. C’est une indication que les gens vivent dans l’angoisse », dit Dr Blanc.  « Dans l’anxiété, la personne va s’imaginer les scénarios les plus catastrophiques (…), cette souffrance peut se traduire à travers des rêves d’angoisse », ajoute Dr. Cadichon. Il précise que le rêve vient signifier à la personne qu’il y a une souffrance psychique en rapport avec la réalité.

Un large spectre de victimes

De ce fait, les victimes du kidnapping ne se réduisent pas aux personnes qui ont été enlevées. On peut même étendre la liste des victimes à des Haïtiens de la diaspora qui sont indirectement touchés par ce phénomène. En effet, certains Haïtiens vivant à l’étranger sont informés de l’enlèvement d’un proche en Haïti. D’autres s’inquiètent à longueur de journée pour la sécurité de leurs proches, au pays. Il y en a aussi qui voudraient rentrer, mais évitent de le faire par peur du kidnapping.

« Cette situation peut avoir des conséquences à long terme sur la santé mentale et pourrait affecter l’ADN des individus », dit Dr Blanc. D’autant plus que le kidnapping s’installe et devient une menace constante et sans issue à l’horizon. En ce sens, de la catégorie d’événements traumatiques, le kidnapping devient un facteur de stress chronique. « Une expérience prolongée à ces facteurs de stress chronique, en absence de prise en charge, peut amener pour la personne affectée des troubles mentaux, tels les troubles de l’humeur (troubles bipolaires et la dépression majeure), les troubles anxieux et du sommeil, et les maladies cardiométaboliques (ex : l’hypertension)… », explique Dr Judite Blanc.

Voilà pourquoi il est devenu une urgence d’agir, croit Dr Blanc. « Il faut qu’on tire la sonnette d’alarme. L’impact sur la santé mentale est bien réel, il faut agir vite », martèle Dr. Cadichon.

Quelles réponses donner face à ce fléau ?

Selon Dr. Judite Blanc, une gestion efficiente du stress se fera par l’environnement physique, les structures sociales, la santé globale et les comportements de santé. « Dans ce contexte de désastres chroniques en Haïti ; il est capital de se soigner individuellement, collectivement, et d’agir politiquement.»  La chercheuse encourage la population haïtienne à prendre soin de soi, à chercher le soutien familial et social, et à développer des relations de qualité avec les autres. Bien dormir est essentiel (7-8 heures par nuit pour les adultes).

Judite Blanc suggère également de bien gérer le flux de nouvelles qu’on consomme chaque jour. « La santé mentale est une affaire de santé du cerveau aussi, il faut carrément avoir un « worry time » et un « no worry time ». La chercheuse explique également que le cerveau n’est pas habilité à être en mode « anxiété » à longueur de journée. Un minimum de routine est essentiel pour maintenir l’équilibre émotionnel et physiologique.

Il est important de demander justice et reconnaissance

Elle termine en soulignant que les soins individuels ne suffiront pas. L’impuissance face aux ramifications politiques de la crise haïtienne peut alimenter le sentiment de détresse. Pour elle, la communauté devrait documenter ce vécu traumatique en créant des associations de personnes affectées par le kidnapping, le viol et les troubles mentaux associés, et éventuellement remonter à la Cour Pénale Internationale. «Cette quête de justice en soi peut se révéler thérapeutique, car il s’agirait de forcer le régime en place, et toutes parties concernées à prendre leur responsabilité vis-à-vis des citoyens et citoyennes qu’ils sont censé protéger», explique-t-elle. L’impunité agit sur le processus de guérison pour la chercheuse. L’État doit rétablir le sentiment de sécurité qui est vital à l’équilibre émotionnel. Un individu angoissé est un citoyen dysfonctionnel. «Le sentiment de sécurité interne et externe est un prérequis au développent humain et économique » soutient-elle.

« Il faut voir le problème sur le plan systémique. Le contexte, l’environnement, les politiques publiques mises en place, la situation socio-économique…il y a beaucoup de facteurs de risques qui entravent la santé mentale des individus », affirme Jeff M. Cadichon. « Pour les personnes qui ont été enlevées, il faut des soins médicaux en urgence, un environnement sécurisé, avoir des proches qui sont là pour eux », conseille l’auteur de « Narrations du sensible ». « La santé politique peut avoir des incidences sur la santé mentale des citoyens », conclut le spécialiste en psychologie clinique et en psychopathologie.


Haïti : des personnes handicapées oubliées dans un camp depuis 2010

Promiscuité, conditions sanitaires, insécurité… Au camp Lapis, des handicapés essaient de survivre depuis le séisme de 2010, dans un environnement où vivre est un véritable défi.

Il est 11 heures du matin quand, accompagné de notre facilitateur, nous sommes arrivés au camp Lapis. Le soleil brille de mille feux. Une chaleur torride crée la surprise en cette période hivernale. Comme si par cette chaleur ardente, l’astre du jour voulait gommer les empreintes de la précarité retrouvées à tous les coins de ce camp. Mais apparemment, ce n’est pas ce soleil qui rendra moins pénible la misère qui prévaut dans ce milieu. D’ailleurs, au camp Lapis, elle est plutôt manifeste. La misère respire. Elle se meut comme pour ne pas passer inaperçu. Elle est visible dans chaque regard croisé, dans chaque voix entendue, dans chaque silhouette qui bouge sur ce camp du bas-Delmas.

Ici, ils sont environ 200 handicapés qui essaient, dépourvus de moyens, de ne pas mourir. Ils sont là depuis le lendemain du cataclysme, le 12 janvier 2010. Leurs maisons sont des « shelters » construits depuis 2010 et qui ne devaient durer que deux ans. Après 11 années, ces maisons de fortune ne sont que des taudis, incapables de servir réellement comme abris quand il commence à pleuvoir. Pour la plupart, les toits sont couverts de bâches abimées, alors que les enceintes en bois sont rapiécées à plusieurs reprises.

La route principale tracée au milieu de ce camp est jonchée de toutes sortes de déchets. La poussière qui se lève sous les pieds des enfants qui courent de part et d’autre est une calamité. Et pourtant, Télémaque Altesse passe ses journées ici, assis sur une chaise en paille qui ne cache pas non plus la précarité de la zone. C’est un manchot. Avant même d’ouvrir la bouche, ses vêtements délabrés en disent déjà long sur sa situation. C’est avec des larmes aux yeux que cet homme nous raconte ses déboires.

Le camp des oubliés

« Personne ne pense à nous ici. Je n’en peux plus. Je ne vis plus », se plaint-il, incapable d’arrêter les larmes qui viennent mouiller son visage. Sa femme est morte au camp, il n’a plus personne. Sa maison de fortune a été incendiée, il a tout perdu. Ce sont d’autres voisins qui le logent depuis. Ses trois enfants sont disséminés çà et là chez des membres de sa famille qui acceptent de lui venir en aide.

Au camp Lapis, les personnes vivant avec un handicap sont privés de presque tout. Ce sont des oubliés, à en croire Luckner André, coordonnateur général de l’Association des personnes handicapées pour la promotion du sport (APHAPS). Sur sa béquille, Luckner a l’air de se passer de sa jambe droite dont il est amputé. C’est un homme bourré d’énergie qui nous a reçus. Mais s’il a suffisamment de courage pour vivre avec son handicap, il n’en a plus assez pour vivre au camp Lapis. « Après 11 ans, je dois dire que la vie n’est plus possible ici », lâche-t-il avec l’espoir que le sport va améliorer sa condition de vie.

Il n’y a pas une période de l’année où ils reçoivent la visite des autorités, informe Dieu Faite Joseph. Dans son bloc, il est un vrai leader, tout le monde le respecte au point qu’il peut commander à ses voisins d’éteindre leurs radios afin de nous parler paisiblement. Il est en effet coordinateur de la Cellule de réflexion des handicapés de l’Ouest pour le développement (CEREHAOP), et président de Plaisir rara des handicapés de l’ouest (PRHO). L’homme, âgé de 56 ans, ne voit rien, mais il a trois enfants à sa charge.

Abandonnés face à la Covid-19

Pour être là depuis 2010, il connait bien les problèmes du camp. « À côté du problème d’eau, nous n’avons même pas de latrines, ici. Les gens doivent se soulager à l’air libre sur le camp », déplore-t-il dans un charisme fabuleux, qui plait à tous les autres riverains qui nous ont entourés. Et pourtant, depuis le début de l’épidémie du nouveau coronavirus, ils n’ont guère reçu de soutiens des autorités, fustige Dieu Faite Joseph, avant de rectifier que la secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées leur ont fait un don de 150 masques pour se protéger de la pandémie. Une fondation de la place a installé un point de lavage des mains à l’entrée du camp, mais cela n’a servi que de jeu pour les enfants. Une fois qu’il n’y avait plus d’eau dans les cuves, elles ne sont plus que décoration.

Si au début, le camp lapis était le camp des handicapés, actuellement, ce n’est plus le cas. Au contraire, les handicapés y sont bien minoritaires maintenant. Le camp est même contrôlé par des hommes armés jusqu’aux dents. Pendant qu’on interroge Dieu Faite Joseph, on a pu voir une sorte de démonstration de la part d’un jeune âgé d’environ 20 ans. L’air fier, le jeune homme a défilé devant tout le monde avec une arme de guerre en main. Pas moins de quatre enfants d’environ 8 à 12 ans le suivent, déterminés, comme des apprentis qui veulent assimiler chaque leçon de leur mentor.

Vivre dans la peur

Ces individus armés sont maitres et seigneurs sur ce camp, à en croire les habitants. Guermann Otilus regrette cela. Il a dû abandonner les activités socio-éducatives qu’il avait l’habitude d’organiser au profit des enfants à cause des individus armés qui viennent s’installer au camp. « Quand je travaille avec les enfants, ils pensent que j’ai de l’argent pour ça. Ils commencent à poser des questions. Je me sentais en danger, j’ai dû abandonner », affirme alors ce jeune homme apprécié de tous les handicapés du camp. Son père est d’ailleurs un handicapé, l’un des pionniers du camp Lapis. Et pourtant, une vingtaine d’enfants circulent dans ce camp, sans pouvoir aller à l’école.

À côté des autres problèmes, les handicapés se voient donc plongés dans une insécurité alarmante. D’ailleurs, au mois de mai 2020, des individus armés ont incendié pas moins de 18 maisons de fortune sur le camp. Ils vivent pour l’instant dans la peur, espérant qu’on va les déloger. Au fait, 50 handicapés ont été délogés et placés au village Lumane Casimir. Ils espèrent tous que ce jour arrivera où ils seront eux aussi envoyés là-bas. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que la vie n’est pas vraiment rose au village Lumane Casimir.

Visite au village Lumane Casimir

Nous sommes épargnés de la poussière et des odeurs putrides. Nous pouvons même trouver de l’ombre pour nous abriter du soleil. Au Village Lumane Casimir, situé non loin du morne à cabri, l’on peut croire que la situation des handicapés est différente. Mais quand on commence à leur parler, on s’aperçoit vite  qu’il n’a de différence que la configuration de la zone. Ils sont placés au village avec leurs lots de problèmes, tout comme au camp Lapis.

Antonise Blanc vivait au camp Lapis avant qu’elle ait été placée au village Lumane Casimir. Cette mère de trois enfants a perdu une jambe lors du tremblement de terre. Depuis qu’elle est ici, dit-elle, elle vit de l’aide de certains membres de sa famille. Elle n’a pas de mari. « Ils m’ont placée ici, mais depuis, je ne vois personne », regrette-t-elle.

Se souvenir du 12 janvier 2010 représente ainsi un supplice pour Antonise. C’est le jour qui a basculé sa vie. « Rien n’est plus comme avant », soutient celle qui n’arrive pas à s’en remettre. De son côté, Jean Robert Joseph est arrivé au village depuis 2014, tout comme Antonise. Cet homme aux problèmes visuels dénonce qu’il n’a jamais rien reçu depuis son arrivée. Au total, environ 50 personnes handicapées sont placées au village Lumane Casimir.

Ce 12 janvier 2021 marque le 11e anniversaire du tremblement de terre, qui a fait près de 300 000 victimes selon les chiffres officiels. Mais si le séisme est déjà loin derrière nous, il n’en est pas autant pour ses séquelles qui sont encore bien visibles dans le pays.

NB : Cet article a été publié par l’auteur dans les colonnes du journal Le Nouvelliste le mardi 12 janvier 2021. Il est à retrouver ici.


#MondoCorrespondance : Covid-19 et anxiété en Haïti

J’adresse cette #MondoCorrespondance à mes ami.e.s de l’Afrique qui ont accepté de donner vie à cette initiative. Elle s’adresse à Amos Traore du Burkina Faso, Valentine Nahata Balama du Cameroun, à Tiasy du Madagascar (pour la résurrection de nos échanges), à Lucrèce Gandigbe du Sénégal (Je le fais enfin. Rire !), à  Christian Elongue qui a décidé récemment de participer avec nous. Au plaisir de lire vos billets-réponses sous peu !

Cordiales salutations mes frères et sœurs !

C’est un plaisir de pouvoir échanger avec vous à travers cette #MondoCorrespondance. Grand merci d’avoir accepté de participer à cette initiative. Malheureusement, il nous faut parler d’une pandémie qui a déjà touché plus de 200 000 personnes et en a tué pas moins de 11 000 à travers une centaine de pays.

J’aurais préféré vous parler des perles de mon pays : de nos plages paradisiaques, nos fêtes traditionnelles, nos modes de vie, notre art et notre culture ô combien riche ! J’aurais préféré vous parler de rara et de carnaval… J’aurais tellement préféré vous parler de notre histoire dont nous sommes si fier.e.s. Mais le malheur veut que nous parlions du Covid-19 et de sa rage contre la race humaine.

Mes frères et sœurs, au moment où je vous écris cette #MondoCorrespondance, Haïti a déjà enregistré deux cas de Covid-19. Mais la panique n’en est pas moins grande chez nous. La République dominicaine, pays avec lequel nous partageons l’île d’Haïti, a déjà enregistré une trentaine de cas. Point besoin de vous dire à quel point nous nous inquiétons ici. Les mesures annoncées par les autorités locales n’arrivent guère à nous rassurer. Vous connaissez probablement ces modèles de dirigeant.e.s marqués d’un cynisme hors du commun qui sont prêt.e.s à dire n’importe quoi pour se voiler la face.

En réalité, ce qui nous inquiète ici, c’est surtout notre incapacité à faire face à une maladie d’une telle contagiosité. Notre génération vit un moment inédit. La maladie nous impose un individualisme qui nous fait penser à une sorte d’État de nature où l’autre serait une menace pour soi-même et vice-versa. C’est la peur généralisée, chez moi.

Les médias et les journalistes essaient de jouer leur rôle en sensibilisant la population sur la question. Mais ce n’est pas tant la sensibilisation qui peut aider à affronter une telle maladie, dans un pays où une grande partie ne sait ni lire ni écrire et croit que la providence les épargnera coûte que coûte. Même dans les pays où quasiment toute la population est éduquée, l’on voit comment des gens refusent de respecter les consignes des autorités, mettant ainsi en péril leur vie et celle de leurs proches. Ici, mes frères, les gens vous disent qu’ils.elles ont déjà les moyens de contrecarrer la maladie. Et ils.elles inventent tout pour justifier leur incrédulité. Et d’ailleurs, cette forme d’évasion est peut-être leur unique moyen de ne pas sombrer dans la dépression, car le pays n’a pas d’armes pour faire face au Covid-19.

Selon l’Évaluation des prestations des services de soins de santé (EPSSS-II, 2017-2018), rapporté par Le Nouvelliste, le pays ne dispose que de 3 354 médecins pour desservir l’ensemble de la population. Au total, les institutions sanitaires du pays mettent au service de la population un total de 19 195 prestataires, avec notamment 8 202 infirmier.e.s. Nous sommes plus de 11 millions d’Haïtien.ne.s.

1 007 établissements de santé fonctionnent dans le pays avec 32 lits d’hospitalisation en moyenne. Selon ce même rapport, le Réseau national de surveillance épidémiologique (RNSE) est constitué de 631 établissements de soins de santé. Le journal Le Nouvelliste a rapporté un sondage mené par l’hôpital St-Luc et le Maryland Medical Center dans 39 hôpitaux haïtiens de plus de six lits. Selon ce sondage, seulement 15 hôpitaux disposent d’une unité de soins intensifs pour un total de 90 lits. Seulement 30 lits sont disponibles 24 heures sur 24 en Haïti pour des soins intensifs, au niveau de cinq hôpitaux dans le pays dont trois sont à Port-au-Prince.

Mais pire, mêmes les professionnel.le.s de la santé du pays ont peur du virus. Mais que voulez-vous quand ils.elles travaillent au quotidien dans des conditions déplorables ? Comment voulez-vous qu’ils.elles partent en guerre sans munitions contre un ennemi féroce ? C’est pourquoi certains ont lancé une alerte en vue d’attirer l’attention du monde entier sur leur situation.

C’est dire que notre capacité de réponse à cette pandémie est quasiment nulle. Notre seule carte serait donc de contenir la propagation du virus. Mais pour cela, il faudrait que les autorités soient capables de contrôler les entrées et les sorties sur le territoire national, mais aussi les va-et-vient de la population.  À ce niveau, le constat est amer. Les gens ne se montrent pas prêt.e.s à rester chez eux. Le couvre-feu déclaré par les autorités n’est pas respecté. Le transport en commun, facteur important de propagation du virus, continue de fonctionner normalement. Les gens refusent de tourner le dos à leurs habitudes.

Ici, mes ami.e.s, plus que le coronavirus, c’est en fait la corruption et l’impunité des politiques qui enfoncent le pays dans une précarité sans pareille qui menacent de nous tuer. J’ai envie d’espérer que nous réussirons à stopper le Covid-19, nous qui avons défini un nouvel ordre mondial en mettant fin à l’esclavage. Mais quand on pense à nos modèles de dirigeant.e.s, tout espoir s’évapore. La situation est sombre mes ami.e.s.

Je vous laisse ici avec l’espoir de vous lire sous peu. Soyez fort.e.s face à la pandémie ! Soyez prudent.e.s ! Et respectez les consignes.


Carnaval à Haïti : Quand l’État propose la bamboche dans la galère

Au milieu d’une crise socio-politique alarmante, le gouvernement d’Haïti annonce l’organisation du carnaval national cette année. Les festivités sont prévues à Port-au-Prince les 23, 24 et 25 février 2020. Parallèlement, l’insécurité grandit. Les victimes par balles se multiplient.

Si les troubles sociopolitiques ont provoqué l’annulation, l’année dernière, des festivités carnavalesques en Haïti, elles auront bien lieu cette année, même si la situation n’a guère évolué. En effet, dans une note signée par le ministre démissionnaire de la culture et de la communication, Jean-Michel Lapin, et publiée le 15 janvier dernier, les autorités ont annoncé le déroulement du carnaval national à Port-au-Prince les 23, 24 et 25 février prochains.

Les exercices pré-carnavalesques sont même déjà lancés dans la capitale haïtienne depuis le dimanche 19 janvier. Parallèlement, certaines communes s’activent également pour organiser leur carnaval. C’est le cas notamment de la ville de Jacmel réputée pour son carnaval prestigieux, qui est prévu cette année du 14 au 16 février autour du thème « Imaj Jakmèl, se imaj pa m » (l’image de Jacmel est la mienne). 

La vague de controverse

Cette année encore, l’organisation du carnaval en Haïti suscite toute une vague de controverse. La conjoncture, pour plus d’un, n’est pas favorable au déroulement du carnaval. L’une des raisons est que depuis quelques temps, le carnaval national est réduit à une grande bamboche populaire, dépouillé de tout son contenu culturel. Sur les réseaux sociaux, les gens n’arrêtent pas de fustiger « le manque d’humanité » des autorités qui s’accrochent à la bamboche pendant qu’une grande partie de la population fait face à l’insécurité alimentaire quand une autre partie, non moins importante, est réveillée chaque matin par les détonations d’armes automatiques.

Le coronavirus qui vient alarmer le monde depuis le début de l’épidémie en Chine s’ajoute aux arguments de ceux qui sont contre le carnaval. Alors que beaucoup de pays, avec des systèmes de santé efficaces, commencent à se préparer pour barrer la route à une éventuelle épidémie de cette maladie, les autorités haïtiennes misent tout sur le carnaval. Le ministère de la santé s’est tout simplement contenté de sortir une note pour rassurer la population que le virus n’est pas encore présent dans le pays. En réalité, ce que la population aurait besoin de savoir, c’est comment le pays fera face au virus s’il arrive en Haïti, tout cela étant possible.

Même certains groupes musicaux, considérés comme des ténors du carnaval haïtien, se sont prononcés contre l’organisation des festivités carnavalesques cette année. L’artiste « Fresh la » du groupe « Vwadezil » comme Roberto Martino du groupe « T-Vice » ont estimé qu’il était anormal de « demander au peuple d’aller danser pendant que l’insécurité bat son plein partout dans le pays » créant un climat où mêmes les policiers ne sont pas à l’abri.

La danse au milieu des armes ?

En effet, il y a autant d’armes illégales dans le pays, si ce n’est pas plus, que d’électeurs ayant voté pour l’actuel Président de la République. Au fait, la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR) a révélé en novembre 2019 qu’il y avait près de 500 000 armes à feu illégales en Haïti.

À cela s’ajoute un nombre alarmant de gangs armés dans le pays. Selon la CNDDR, pas moins de 76 gangs armés sont répertoriés en Haïti. La commission précise pourtant que ce chiffre est loin d’être exhaustif. Selon les informations rapportées par Le Nouvelliste, certains de ces gangs comptent même plus d’une centaine de membres. On peut bien se demander comment peut-on danser en paix quand autant d’armes illégales sont en circulation dans le pays ?

Plus près du palais, plus près de la mort

À quelques mètres du palais national, l’insécurité est à son comble. Certaines institutions publiques, comme le Parlement ou le parquet, ne parviennent pas à fonctionner en toute sérénité à cause des bandes armées qui font la loi dans la zone du bicentenaire où se trouvent ces institutions. L‘État n’arrive même pas à garantir la sécurité de ses propres institutions.

Le quartier de Martissant, situé à l’entrée sud de la capitale, échappe complètement au contrôle des autorités. Les gangs armés qui se font la guerre dans cette zone coupent très souvent le grand sud du pays de la capitale. La police est impuissante face à ces gangs qui passent souvent plusieurs jours à échanger des tirs, contraignant les riverains à se cloîtrer chez eux.

Le bilan des derniers affrontements fait état de plusieurs personnes brulées vives, trois personnes sont tuées et plusieurs maisons ont été incendiées sans que les sapeurs-pompiers aient pu intervenir, pour des raisons de sécurité.  

Ainsi, pour beaucoup de gens, organiser un carnaval dans ces conditions, c’est non seulement faire preuve d’une « insensibilité ignoble », mais, c’est aussi créer les conditions pour augmenter le nombre de victimes. Pour preuve, une personne a été tuée par balle dès le premier dimanche pré-carnavalesque au milieu de la foule au Champ de Mars. Des cas qui risquent d’être répétés durant toute la période carnavalesque, considérant le nombre d’armes à feu illégales en circulation dans le pays. Mais tout cela semble ne pas être un souci pour les autorités qui, apparemment, n’ont à offrir pour apaiser la colère d’une population mise à genou et dépouillée de tout moyen de vivre en toute dignité que le carnaval.


«Madanm» et « Mennaj», coup d’œil sur l’évolution de deux mots créoles

Quand on observe bien, en créole, à l’heure actuelle, une «mennaj» peut être une «madanm» tout comme elle peut-être une petite amie qui joue un rôle second, le sachant ou non. Un constat plutôt épatant.

La société ne cesse d’évoluer. Chaque jour, de nouvelles pratiques et mœurs surgissent. Dans cette constante évolution des pratiques sociales, la langue ne reste pas non plus inerte. Elle bouge au rythme de l’évolution de la société. Le sens des mots peut ainsi changer en fonction des époques, des valeurs et des idéologies qui marquent les époques.

Le mot « Limena» dans la langue créole nous fournit un exemple assez pertinent. Il y a quelques années de cela, une «Limena» était une femme qui possède de grands moyens économiques. Une femme qui pouvait répondre à ses besoins sans recourir à l’aide d’une tierce personne. La « limena» avait une certaine largesse dans ses dépenses, elle faisait rêver d’autres femmes. Elle pouvait normalement se vêtir des toutes nouvelles lignes de vêtements.  

Force est de constater qu’en 2019, le mot «Limena» ne renvoie plus uniquement à cette réalité. De nos jours, est «Limena» celle qui est présente dans tous les programmes de « rabòday » et connait tous les tours de rein. 

Les deux mots «Madanm» et « Mennaj», qui nous intéressent dans ce papier, ont connu des variations tout aussi intéressantes. Toute personne qui connait la langue  créole comprend vite à quoi se réfèrent ces deux mots traditionnellement. Une piqûre de rappel ne faisant pas mal, donnons les définitions longtemps connues de ces mots.

« Madanm« 

Dans le créole haïtien, on a découvert jusque-là que le mot « madanm » peut prendre deux sens :

  • d’une part, utilisé dans certains contextes et dans certaines tournures syntaxiques, il peut signifier tantôt une personne adulte de sexe féminin, tantôt « madame ». Certaines fois, il est remplacé par le mot « madam » ou tout simplement « dam ».

Quelques exemples : « madanm sa a pa rete nan zòn nan lontan ». Cette phrase se traduit littéralement en français : « Cette femme n’habite pas depuis trop longtemps dans la zone ». Dans la phrase : « Lè madanm lan vini l ap kontan », on entrevoit le sens de « madame », mais en réalité si l’on veut traduire, « madanm », utilisé dans cette phrase, renvoie plutôt à « maîtresse de maison ». (Lorsque la maîtresse [de la maison] rentre, elle sera contente.)

Autres exemples :

« Tanpri madanm, sispann pale… » : (Je vous en prie madame, cessez de parler…)

« Bonswa madam » :(Bonsoir madame) (L’on précise que certaines personnes disent « bonswa madanm », selon nos observations).

« Se yon bèl dam » : (C’est une belle dame (ou femme) ;

  • d’autre part, le mot « madanm » est la traduction créole du mot « épouse » ou « concubine ».

Exemples : « Madanm mwen rele Katya » se traduit « Mon épouse (ma femme) s’appelle Katia ». De même, « Jak gen yon bèl madanm » se traduit « Jacques a une belle femme ».

On doit faire remarquer que devant les noms propres, le mot a tendance à perdre le « m » final pour devenir « Madan ». On dit « Madan Jan, Madan Pyè… »

« Mennaj« 

De son côté, le mot « Mennaj », quand il ne traduit pas le « ménage » français (« Mwen t ap fè mennaj nan kay la » pour « Je faisais le ménage », renvoie à « Petit.e ami.e ». Exemple : « Mennaj ou bèl » se traduit « Votre petit.e ami.e est joli.e ».

Les nouveaux sens de ces mots

En 2019, quand un homme parle de sa « madanm », ce n’est pas forcément une épouse avec laquelle il partage un toit, ni même une concubine. Une « madanm » peut tout simplement être une petite amie. Mais, c’est celle qu’il préfère. L’on comprend que, entre jeunes surtout, le mot « mennaj » (lorsqu’il désigne vraiment une petite amie avec laquelle on fait des projets pour l’avenir) est utilisé de moins en moins. Les jeunes préfèrent dire « madanm » quand ils parlent de leur dulcinée.

Parallèlement, le mot « mennaj », comme pour rester en vie, va désigner une autre catégorie de petite amie, celle d’à côté qui joue un rôle second. Il définit aussi ce qu’on a toujours appelé « maitresse » dans les relations extraconjugales. C’est-à-dire, un homme marié qui voit une autre femme a donc une « mennaj ». On peut donc avoir plusieurs « mennaj » à côté de sa « madanm ».

Vous avez probablement déjà vu ou entendu, sur les réseaux sociaux ou dans la vie courante, des déclarations comme : « kilè w ap prezante mennaj ou madanm ou ? (Quand est-ce que tu vas présenter ta petite amie à ta femme ?). On est donc clair : « Madanm » peut, outre l’épouse, être la petite amie « officielle » tout comme « mennaj » est certaines fois « une autre petite amie » qui joue un rôle second.

Il faut remarquer néanmoins que les jeunes ne sont pas toujours à l’aise de dire « madanm » quand ils parlent de leur petite amie avec des adultes. Ils utilisent encore le mot « mennaj ». Mais pour combien de temps ? L’on sait tout au moins que la langue continuera d’évoluer à mesure que les hommes et les femmes changent leurs pratiques dans la société


Haïti : faut-il ne pas organiser le carnaval ?

Sur les réseaux sociaux, l’organisation du carnaval cette année est plutôt décriée par beaucoup d’internautes haïtiens. Beaucoup croient que l’heure n’est pas au plaisir.

Certains internautes n’y vont pas par quatre chemins. La conjoncture exige l’annulation des festivités carnavalesques, pensent-ils. Des hashtags ont même été lancés en vue de faire valoir cette position. #AbaKanaval, #NouPapDanseSouFatra, #NouPapDanseSouKadav… on peut en trouver toute une liste. Le message est clair : « Nous ne voulons pas de carnaval cette année ».

Contexte inapproprié

L’argumentaire est tout aussi clair que convaincant. Le pays vit l’une des périodes les plus sombres de son histoire. L’année 2018 a été marquée par de nombreux bouleversements socio-politiques et économiques. L’insécurité a regagné en puissance, surtout dans la zone métropolitaine. La Commission épiscopale justice et paix (CE-JILAP) a publié un rapport qui fait état de plus de 800 personnes tuées en 2018, dont près de 600 tuées par armes à feu.

Dans de nombreux quartiers de l’aire métropolitaine, les gangs armés sèment la terreur au nom du « social », concept très galvaudé dont le sens varie d’une zone à une autre ou d’une personne à une autre. Et tout cela sans que les autorités concernées ne puissent faire quelque chose pour changer la donne. Parallèlement, la décote vertigineuse de la monnaie nationale par rapport au dollar aiguise la précarité dans les quartiers populaires particulièrement, et renforce l’insécurité alimentaire dans le pays en provoquant la montée des prix des produits de première nécessité sur le marché.

Point besoin de remplir toute une page pour montrer que le pays va mal, comme le dirait Tiken Jah Fakoly. L’on aurait pu parler de l’insalubrité, du problème d’électricité, de la quasi-absence des services de santé adéquats, de l’interminable crise des écoles publiques, etc.

Face à cette débandade généralisée dans laquelle le pays se retrouve, d’aucuns croient qu’organiser le carnaval serait comme un déni total de la réalité du pays, le parfait exemple d’un « je-m’en-foutisme » inapprivoisé.

Il est toutefois intéressant de remarquer que cette batterie argumentative s’attaque surtout (ou uniquement) au côté plaisir du carnaval.  L’un des Ashtags, #NouPapDanseSouFatra, en témoigne grandement. Carnaval ainsi vu est synonyme de bamboche ou de réjouissances populaires tout court. Ce qui n’est pas du tout faux d’ailleurs !

Eviter le simplisme

Néanmoins il faut remarquer que réduire le carnaval aux réjouissances populaires est d’un simplisme pour le moins exagéré. Le carnaval, c’est aussi l’une des plus grandes manifestations culturelles du pays qui rassemble et expose des milliers d’artisans, d’acteurs, de danseurs, d’artistes divers et autres. Nous sommes témoins chaque année de la beauté des festivités carnavalesques à Jacmel, et nous en sommes fiers. Hier encore, le carnaval national attirait beaucoup d’Haïtiens de la diaspora et des étrangers. Le carnaval haïtien, bien organisé, est un bouquet d’art. Pour ainsi dire, le carnaval, ce n’est pas [uniquement] de l’argent dépensé dans des tortillements de hanche pour le bonheur des jouisseurs. Même si c’était un événement organisé pour ceux qui aiment ce genre de plaisir, l’on n’aurait pas totalement raison de le déclarer inutile. Car, en fait, de même qu’on a le droit de ne pas accorder priorité à ces plaisirs, d’autres ont le droit de les placer au centre de leur vie. Il n’y a pas un sacro-citoyen qui est habilité à choisir quelle manière ou quand on doit s’éclater dans le pays. Malheureusement. Bon bref !

J’ai rencontré, dans le cadre de mon émission « Pacific nan zòn nan » que je présente sur la radio Pacific, des responsables de bandes à pieds à Bel-air, quartier situé au cœur de la capitale. J’ai pu faire un constat : « malgré les soucis, la période carnavalesque est pour beaucoup de gens une période symbolique qui est d’une grande importance ». J’ai rencontré plusieurs responsables de bandes à pieds, mais je vais utiliser surtout des témoignes de Tibo, le porte-parole de « Grap Plezi On The Move », une bande à pieds vielle de plus de 40 ans.

« C’est un moment spécial pour toutes les bandes à pieds. Quand une bande ne sort pas, on a comme l’impression de voir s’envoler en fumée un bout de notre âme de peuple », raconte Tibo. Beaucoup de bandes à pieds profitent de cette période pour louer les esprits qui les guident. Au fait, chaque bande à pieds, raconte Tibo, possède un « lakou » où l’on organise une fête annuelle « en mémoire des esprits qui permettent au groupe de progresser ». En outre, dit Tibo, à chaque fois qu’une bande sort, c’est toute la communauté qui s’y retrouve car ils considèrent les bandes comme une marque identitaire pour leur communauté.

« Le carnaval haïtien présente en miniature toute l’existence du peuple haïtien : son histoire, ses connaissances, ses créations, ses moralités, ses vicissitudes, et même ses aspirations. »

C’est dire que le carnaval est l’une des traditions du pays qui restent en vie malgré tout. Et comme l’a dit élégamment Jean Maxius Bernard : « Le carnaval haïtien présente en miniature toute l’existence du peuple haïtien : son histoire, ses connaissances, ses créations, ses moralités, ses vicissitudes, et même ses aspirations. Sur le parcours, c’est toute la culture populaire d’Haïti qui défile devant les spectateurs. » Plus loin, ce dernier cite Michel Lamartinière Honorat qui, à son tour, voit dans le carnaval les éléments culturels permettant de rester en contact avec les anciennes traditions du pays : « L’Indien, l’Espagnol, le Noir et les Français, tous les aïeux qui nous ont laissé leurs mœurs et coutumes se retrouvent côte à côte dans nos fêtes carnavalesques. »

Le musicologue et professeur associé à l’Université du Québec à Montréal, Claude Dauphin, cité par le Collectif Haïti de France dans un article sur le carnaval haïtien, souligne qu’en Haïti « le carnaval apparaît comme un moment exceptionnel de subversion : renversement des rôles, aplanissement des barrières, réfutation des comportements appris ».  Le carnaval est ainsi l’occasion de dénoncer les dérives gouvernementales, tares et les maux de la société en général.

Carnaval ou pas carnaval ? La question devrait se poser autrement. Doit-on organiser des festivités carnavalesques où les politiciens corrompus manipulent les groupes musicaux à produire des meringues pour alimenter leur machine propagandiste ? Va-t-on organiser un carnaval sans créativité ni couleurs que celles des t-shirts des entreprises du secteur privé et des potentiels candidats ? Sans aucun doute, le carnaval ne doit être réduit à cela. Au-delà des dérives, le carnaval haïtien reste la plus grande fête populaire de notre peuple et la principale vitrine de la culture haïtienne dans toutes ces facettes.


#MondoCorrespondance : « Je n’ai pas abandonné »

Je m’adresse dans cette #MondoCorrespondance à Valentine et Amos, aux mondoblogueurs, et à toute l’équipe derrière Mondoblog.

Chers tous,
S’il est quelque chose qui marque un grand tournant dans ma vie, c’est mon arrivée sur Mondoblog en 2017. C’était important pour moi de pouvoir rejoindre cette plateforme qui rassemble de nombreux blogueurs francophones en vue d’un partage de la diversité culturelle. Je ne crois pas avoir tort d’avoir cru que c’était un grand exploit d’être sélectionné parmi les lauréats pour la saison 6. C’est encore un grand privilège pour moi de faire partie de ce réseau. En deux ans sur Mondoblog, beaucoup de choses ont changé. Et j’ai appris plein de choses. Alors, je ne compte pas m’effacer sur la blogosphère encore moins abandonner la plateforme.

La naissance d’une passion

Pour quelqu’un qui a commencé à bloguer en 2012, ce n’est qu’en 2017 que j’ai compris réellement combien cette activité est importante. Sur Mondoblog, j’ai appris à donner un sens, une orientation ou mieux une ligne à ma plume. Donc, j’ai commencé à comprendre ce qu’il me fallait pour être un blogueur. Le Social haïtien reste, du moins pour moi, l’une des meilleures réalisations de ma vie. J’y tiens énormément.
Et puis naît cet amour pour le web, le code, le numérique… En 2015, j’ai commencé à écrire pour le quotidien Le National, l’un des deux quotidiens de mon pays. Quand je suis arrivé sur Mondoblog deux ans plus tard, j’ai vu améliorer sérieusement la qualité de ma plume. Ici, j’ai appris à faire la différence entre écrire pour le web et le papier. Je me suis vu plonger dans le monde du numérique comme un poisson qui s’abandonne en mer profonde.
Au début, quand je vois une ligne de code, je me demande perplexe comment quelqu’un fait-il pour comprendre ces trucs. Mais bon ! Ici, j’ai appris qu’un blogueur serait meilleur s’il connait les codes. Ici, j’ai donc pris le risque de commencer à lire des tutoriels sur le HTLM, le CSS…pour ne rien comprendre au départ. Aujourd’hui ? Non je ne sais pas coder !!! Mais quand je vois une ligne de code, je peux comprendre ce qu’il y a dedans. Je connais les balises. Je peux même changer des couleurs de fond, des polices, ajouter des arrière-plans avec du CSS. J’ai entamé avec un cours de Webmaster en ligne que je compte boucler à tout prix cette année. Je gère aujourd’hui mon propre magazine (palmes-magazine.com) grâce aux connaissances que j’ai acquises sur Mondoblog.
Grâce à Mondoblog, je peux me targuer d’avoir même à moitié aujourd’hui ce qu’un journaliste du 21e siècle devrait avoir en termes de connaissances et de maîtrises des outils rédactionnels et des outils de la toile. Bon bref ! Mon papier n’a pas eu vocation d’être trop long.

A mes amis…

…je dois renouveler tout mon attachement. A l’aube de cette nouvelle année (ce que j’aurais dû faire depuis un lustre), je tiens à informer à toute la communauté que je n’ai pas abandonné. Pendant une année, j’ai été des plus actifs sur la plateforme. Mais j’étais contraint de ralentir (bon d’accord, de stopper) sur ma production.
En janvier 2018, j’ai été promu « Journaliste Chef de Rubrique » au quotidien Le National. Durant la même période, j’ai dû faire d’autres expériences à la radio et à la télévision jusqu’à aujourd’hui. Mon blog a donc payé le prix. Il m’a fallu en effet prendre un peu de temps pour m’adapter à ma nouvelle fonction. Ce qui est fait.
Maintenant je décide de revenir au bercail. Je sais… je ne vais pas être aussi actif qu’au départ. Mais je vais rester présent sur le réseau. Car, je porte cette plateforme dans mon cœur.
Ici j’ai fait des amis extraordinaires. Je me garde de citer uniquement Amos Traore et Nahata Balama Valentine avec lesquels je reste en contact malgré mon absence sur la plateforme. Merci à vous ! Merci également aux encadreurs de la plateforme. Vous m’avez appris énormément de chose.
Alors, mon papier vous dit : « Je n’ai pas abandonné. »


« Pitit Marasa » (jumeaux) et pouvoirs mystiques en Haïti

En Haïti, les enfants jumeaux sont souvent considérés comme des êtres mystérieux dotés d’un pouvoir bénéfique ou maléfique. Par rapport à cela, un « marasa »  (traduction créole de Jumeau) est le plus souvent un enfant qui fait peur au point que certains d’entre eux sont victimes d’isolement. Ont-ils réellement un quelconque pouvoir ? D’où vient celui-ci ?

Wedlène et Wedline, deux petites filles âgées seulement de 7 ans, sont considérées chez elles et dans leur communauté à Petit-Rivière de l’Artibonite, au nord du pays,  comme des enfants spéciales. Pour être des jumelles, ces fillettes sont traitées d’une manière exceptionnelle dans leur famille et dans toute la zone. En effet, tout le monde est convaincu que ces enfants sont dotées d’un pouvoir mystérieux qu’elles peuvent à volonté utiliser pour faire le mal ou le bien.

Apparemment, elles ont eu recours à plusieurs reprises à ce « pouvoir » pour résoudre leurs problèmes. Leur plus grande victime reste Widline, une grande soeur qu’elles n’aiment pas trop apparemment. « Nous lui avons donné une migraine chronique afin qu’elle ne puisse jamais aller au tableau à l’école. Nous avons voulu la rendre inculte », racontent-elles, anodines, comme si elles prenaient plaisir à ce mal.

Quand on interroge Widline, la présumée victime, son discours n’est pas différent. Elle croit bien avoir été ensorcelée par ses soeurs cadettes à plusieurs reprises. Toute la famille y croit d’ailleurs. Y compris la mère. « Oui, elles ont fait ça plusieurs fois », répond la mère. Mais cette dernière a dû les supplier pour enlever « le sort ». Quand on leur demande pourquoi elles en veulent à leur soeur, leur réponse a été instantanée. « Elle n’est pas belle », martèlent-elles.

Apparemment, entre celles-là, il n’y a pas de conflits ouverts. Wedlène et Wedline s’entendent à merveille pour dominer. Cependant, dans certains cas, les jumeaux s’entre-déchirent et se font la guerre. « C’est toujours des bagarres à la maison. Jamais ils ne s’entendent sur quelque chose », raconte une femme dans un tap-tap assurant le trajet Carrefour/Centre-Ville.

Dans ce tap-tap, une femme est montée avec deux petits enfants, des jumeaux explique-t-elle. L’un de ces enfants âgés de moins de deux ans terrorise la mère pour qu’elle lui donne de l’eau après en avoir déjà bu un petit sachet afin d’empêcher à la mère d’en donner à l’autre enfant. Selon la mère, il agit ainsi chaque jour. Il veut tout. Un comportement qui résulte de l’attention particulière que la mère porte à son jumeau, informe la femme, l’air succombée.

Une possibilité qu’une autre femme du tap-tap essaie de confirmer. Cette dernière informe avoir deux jumeaux à la maison, une fille et un garçon, qui la fait vivre un enfer, à cause de leur jalousie. « Le problème, c’est la fille. Elle veut toujours se comparer avec l’autre », informe cette femme qui se dit être protestante.

Soleil et Lune : les sources du pouvoir des « Marasa »

Dans les deux derniers cas, l’on peut constater que l’un des jumeaux domine l’autre. Et ce n’est pas un hasard, explique la mambo Euvonie Georges Auguste, grande servante de la « Konfederasyon nasyonal vodouyizan Ayisyen » (Confédération nationale des vodouisants haïtiens) (KNVA). « Ces enfants ont la chance d’être influencés par deux grands astres, le soleil et la lune. Et c’est là, la source de leurs pouvoirs », explique Euvonie G. Auguste. Toutefois, si chacun d’entre eux est influencé par l’un des deux astres, c’est celui qui est influencé par la lune qui sera le plus fort. « Dans le vodou, le soleil diminue le pouvoir. C’est pourquoi les vodouisants portent toujours un chapeau pendant le jour. Mais la lune augmente le pouvoir », précise-t-elle.

Ainsi, la mambo a-t-elle confirmé le caractère mystérieux des grossesses gémellaires. Pour elle, les jumeaux sont réellement dotés de pouvoirs magiques les rendant exceptionnels. Un pouvoir qu’ils détiennent, selon la prêtresse vodou, de leur double influence de la lune et du soleil. Le nom « marasa » qui les qualifie est d’ailleurs une déformation du mot « Maroulisa » qui, selon la mambo, signifie Lune et soleil.

À en croire Euvonie G. Auguste, les « pitit marasa » sont tellement mystérieux que leur naissance donne beaucoup de pouvoirs à leur génitrice. « Dans le vodou, une femme qui a donné naissance à des jumeaux devient automatiquement une femme mystique, une femme de pouvoir », avoue la mambo. Même leurs cadets, appelés « DoSou » (Do= à côté de, Sou = sage : DoSou signifie, selon Euvonie G. Auguste, celui qui est près du sage), héritent également de leur pouvoir.

Remarquons que cette croyance ne fait pas toujours le bonheur de ces enfants gémellaires. Si dans certaines familles, ils sont considérés comme des êtres utiles, capables de résoudre certains problèmes de la famille grâce à leur magie, ils sont plutôt vus comme une « malédiction » dans d’autres. En effet, les jumeaux sont tabous pour beaucoup de gens dans la société.

Même à l’école, ils sont souvent isolés à cause de la peur que les gens développent à leur égard. Wedlène et Wedline racontent que beaucoup d’enfants ont souvent peur de jouer avec elles à l’école. Même dans leur quartier elles sont souvent vues comme des « porte-malheur ».

L’explication scientifique

Les scientifiques donnent pourtant des explications sur les naissances gémellaires. D’abord, ils distinguent les vrais des faux jumeaux. Selon le site doctissimo. fr, il arrive que le zygote, oeuf formé lors de la fécondation, se divise en deux sans que l’on sache pourquoi et à quel moment exactement. « C’est ce qui va donner des jumeaux monozygotes, encore appelés vrais jumeaux », explique doctissimo.

En revanche, explique le site spécialisé en information santé, les jumeaux dizygotes ou faux jumeaux ne sont pas conçus de la même façon. « En principe, lors de chaque ovulation, un seul ovocyte arrive à maturation. Il sera fécondé par un spermatozoïde. Dans le cas des jumeaux dizygotes, il y a eu émission de deux ovocytes. Ceux-ci seront alors fécondés par deux spermatozoïdes, très souvent au cours du même rapport sexuel, et donneront de faux jumeaux. Ces derniers peuvent être de sexe différent et se ressembler ou pas… comme deux enfants d’une même fratrie », lit-on sur doctissimo.

Cet article a déjà été publié par l’auteur au quotidien Le National le 22 janvier 2018

https://www.lenational.org/pitit-marasa-pouvoirs-mystiques-haiti/


Haïti : aucune leçon tirée du tremblement de terre de 2010 !

Le 12 janvier 2018 marque le 8e anniversaire du meurtrier tremblement de terre qui a plongé de nombreuses familles haïtiennes dans le deuil et a laissé derrière lui plusieurs centaines de milliers de sans-abris. Huit années après, l’on ne peut pas dire que le pays a retenu les leçons de ce cataclysme. Au contraire, certains constats portent à croire que les Haïtiens, et surtout les autorités haïtiennes, oublient déjà cette douloureuse expérience ou refusent de comprendre que le pays se retrouve dans un environnement à haut risque sismique.

Huit années après le tremblement de terre de janvier 2010, dont le bilan a été des plus catastrophiques, ses séquelles se font encore sentir dans le pays. Encore aujourd’hui, de nombreuses personnes vivent encore sous les tentes. De nombreux bâtiments de l’administration publique détruits sous les secousses telluriques ne sont pas encore reconstruits.

L’on se rappelle que le tremblement de terre de janvier 2010 a provoqué des dégâts dépassant le total de la production de richesse dans le pays pendant un an. En effet, le Fonds monétaire international a évalué les dégâts provoqués par le séisme de 2010 à 120 % du PIB annuel.

Le rapport d’évaluation des besoins après désastres (PDNA) a montré qu’« en frappant au coeur l’économie et l’administration haïtiennes, le séisme a touché de façon aiguë les capacités humaines et institutionnelles des secteurs public et privé, ainsi que des partenaires techniques et financiers internationaux et certaines Organisations non gouvernementales (ONG) ».

À côté de l’impact humain (plus de 220 000 personnes ont perdu la vie et plus de 300 000 ont été blessées), le séisme de janvier 2010, selon le PDNA, a provoqué une destruction massive des infrastructures dans les zones touchées. « Environ 105 000 résidences ont été totalement détruites et plus de 208 000 endommagées. Plus de 1 300 établissements d’éducation, plus de 50 hôpitaux et centres de santé se sont effondrés ou sont inutilisables. Le port principal du pays est rendu partiellement inopérant. Le Palais présidentiel, le Parlement, le Palais de Justice, la majorité des bâtiments des ministères et de l’administration publique sont détruits », lit-on dans le PDNA 2010.

Cependant, en dépit de toutes ces pertes, l’on ne peut pas dire que le pays a retenu les leçons. Si l’on s’accorde à admettre que les constructions anarchiques ont été à la base de nombreuses pertes en vie humaine, l’on ne prend, jusqu’à présent, aucune mesure drastique au niveau du bâti afin de réduire la vulnérabilité du pays.

Alors que le microzonage sismique de certaines régions du pays montre que les risques sont grands, les constructions anarchiques continuent de se multiplier dans ces zones. Le centre-ville, la vallée de Bourdon, Morne-Hercule, Canapé-Vert et Jalousie sont toutes caractérisés par le pullulement de constructions hors-normes. Pourtant, elles sont aussi des zones (à Port-au-Prince) très exposées au risque sismique selon les résultats préliminaires du microzonage sismique de l’aire métropolitaine.

A aucun moment les autorités n’ont mis de balises pour freiner la prolifération des constructions anarchiques dans le pays. Canaan (au Nord de Port-au-Prince) est l’une des preuves de l’irresponsabilité de l’État à ce niveau. Dans cette zone habitée de déplacés du séisme, on observe surtout des constructions faites sans aucune norme. Et leur nombre s’accroît chaque jour, sans que les autorités ne disent mot.

De même, la ville du Cap-Haïtien, considérée comme une zone à haut risque sismique selon plusieurs études, est sans doute oubliée par les autorités. Et pourtant, selon ces études (évaluation du risque sismique au nord d’Haïti par la firme Miyamoto, 2015 ; diagnostics de vulnérabilité des bâtiments par le BRGM, 2015 ; évaluation des risques liés au Tsunami sur le nord d’Hispaniola, firme Artelia, 2014), de nombreuses infrastructures importantes de la ville du Cap- Haïtien sont exposées au risque.

Le port et l’aéroport (car construits dans des zones à risques) sont exposés à la liquéfaction en cas de séisme et à la submersion en cas de tsunami. La centrale électrique du Cap-Haïtien est également en zone de submersion en cas de tsunami. Ajoutées à celles-là, d’autres constructions qui sont également très vulnérables. La mairie et le complexe administratif du Cap, la délégation du Nord, le lycée Philippe Guerrier ainsi que l’Hôpital universitaire Justinien ne seront probablement pas épargnés.

Cela dit, par rapport à son activité sismique active, le pays peut faire face, à tout moment, à un tremblement de terre majeur. Et, pour certaines régions, il y a même de grands risques de tsunami. Mais, huit années après le séisme meurtrier de janvier 2010, aucune mesure solide n’est prise, que ce soit au niveau du contrôle du bâti ou de la formation, pour réduire la vulnérabilité du pays.

Il faut reconnaître toutefois qu’après 2010, grâce à la mise en place du réseau de surveillance sismique national, la population est beaucoup plus informée sur l’activité sismique du pays. Ce qui représente une note positive. Ainsi, les gens ont-ils la chance de rester vigilants. Cependant, l’on conviendra qu’aucune vigilance ne peut empêcher que des gens meurent lors du passage d’un tremblement de terre quand les constructions ne respectent aucune norme.

Le tremblement de terre de janvier 2010 devait pourtant servir de prétexte aux autorités pour définir des balises au niveau du bâti empêchant que les gens construisent n’importe comment et n’importe où. Mais, dans les faits, l’on constate plutôt la prolifération des constructions anarchiques ici et là, aux yeux de tous, sans aucune intervention des autorités. Peut-on dire que le pays n’a rien appris du tremblement de terre de janvier 2010 ?

Cet article a été publié par l’auteur le 11 janvier 2018 au quotidien Le National

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Haïti : ces problèmes auxquels il faut s’attaquer en 2018

Certains problèmes qui rongent la société haïtienne depuis toujours ont tendance à empirer avec le temps. L’année 2017 qui fait ses valises le montre à clair. Qu’il s’agisse de l’insécurité, la corruption, la dégradation environnementale ou le manque de soins de santé efficaces, certaines plaies deviennent de plus en plus béantes et nécessitent une prise en charge urgente en 2018 si l’on veut vraiment offrir un cadre de vie plus ou moins agréable aux Haïtiens.

1. Insécurité

L’insécurité représente l’une des plus grandes plaies du pays. Depuis des décennies, l’État haïtien n’a pas réussi (ou peut-être n’a jamais tenté) à prendre des mesures efficaces pour garantir la sécurité dans le pays. Au contraire, ce phénomène, sous toutes ses formes, gagne en intensité au fil des années, jusqu’à s’imposer comme un fléau national.

En 2017, l’insécurité et le sentiment d’insécurité ont été manifestes. Selon la Commission épiscopale nationale Justice et Paix, « la zone métropolitaine de Port-au-Prince ne se trouve pas dans les conditions pour parler valablement de sécurité organisée. » L’organisation a dit n’observer aucune décision de l’État pour corriger la mouvance des gangs ou groupes armés dans le pays.

Pour le troisième trimestre de l’année 2017, la Commission a dénombré 72 victimes de la violence, dont 44 tuées par balle. Alors que pour le deuxième trimestre on comptait 109 cas de violence avec 96 tués par balle. On observe vite que le nombre de gens tués par balle est beaucoup plus grand. En cette fin d’année, les fidèles catholiques pleurent la mort du révérend Joseph Simoly, tué par balle à Pétion-Ville.

L’insécurité fait peur en Haïti et se révèle l’un des phénomènes à éradiquer dans le pays. Le développement du tourisme est fonction de la sécurité que le pays a à offrir aux visiteurs étrangers. Car nul n’aura envie de mettre le cap vers un pays où la sécurité n’est pas du tout garantie.

2. Corruption

La corruption représente l’un des plus grands fléaux qui rongent les institutions haïtiennes. Au fait, de nombreux rapports internationaux ont démontré que le pays se retrouve au top des pays les plus corrompus du monde. C’est un phénomène endémique à l’ensemble des institutions publiques du pays, selon Transparency International. Même le président de la République ne le cache pas. Dans de nombreuses interventions publiques, dans le pays ou devant les tribunes internationales, Jovenel Moïse se montre toujours offusqué par le niveau de corruption qui sévit dans l’administration publique.

De nombreux scandales de corruption ont éclat en 2017 dans le pays. Le dossier de surfacturation de kits scolaires ayant fait tomber le ministre des Affaires sociales, Roosevelt Bellevue, aura été l’un des dossiers ayant fait du bruit en 2017. Le dossier PetroCaribe a continué encore de défrayer la chronique à l’approche du nouvel an. Il y a eu même des marches contre la corruption dans le pays en 2017.

En 2018, le pays doit continuer d’élever la voix contre cette pratique pernicieuse au fondement même de l’État de droit. Pour contrecarrer le détournement des ressources de l’État et permettre à chaque Haïtien de bénéficier des services sociaux de base, il faut se mettre d’accord pour mener une lutte sérieuse contre la corruption.

3. Dégradation environnementale

C’est un secret de polichinelle qu’Haïti fait partie des pays au monde les plus vulnérables sur le plan environnemental. Les chiffres font vraiment peur à ce niveau. Nous avons 42 millions de m³ de terre qui finissent en mer par année. Rien d’étonnant, car, nous coupons 50 millions d’arbres par année dans le pays. Ce qui fait que 99 % des 30 bassins versants majeurs du pays sont déboisés.

Partout dans le pays, et surtout dans les principaux centres urbains, les constructions anarchiques se multiplient. Le morne l’hôpital (Port-au-Prince) est un exemple poignant de l’irresponsabilité de l’État. Les gens dénudent les mornes pour construire des taudis pour s’abriter, menaçant ainsi leur propre vie, étant exposés à des glissements de terrain, et, en vertu du principe de l’externalité, la vie des gens qui habitent en aval.

Par ailleurs, l’insalubrité devient un phénomène indomptable dans le pays. Sans compter les multiples risques qui planent sur la tête des Haïtiens. Haïti fait partie des pays les plus vulnérables face au changement climatique. D’ailleurs, nous avons même été la plus grande victime des catastrophes naturelles en 2016.

Le séisme de janvier 2010 a détruit près de 120% du PIB national. L’ouragan Matthew a provoqué des pertes estimées à près de deux milliards de dollars américains. Il y a donc nécessité de se pencher davantage sur la situation environnementale du pays en 2018. Car, toute relance de l’économie nationale doit tenir compte des aléas naturels.

4. Soins de santé

L’état des lieux de la situation sanitaire d’Haïti ne provoque que de l’indignation. Comme Cluford Dubois l’a écrit dans un article paru le 12 décembre dans les colonnes du quotidien Le National, « pour une population de 10 745 665 habitants (IHSI/2016), le système de santé haïtien dispose de seulement 911 médecins, 3018 infirmières et de seulement 62 dentistes. » En outre, toujours selon le même article, sur l’ensemble du territoire haïtien, d’après les données disponibles, l’on ne dénombre pas moins de 1048 établissements de santé répartis comme suit : 32,92% de centres de santé sans lits (CSL), 14% de centres de santé avec lits (CSAL) et 11,64% d’hôpitaux. Le journaliste a précisé que pas moins de 125 sections communales du pays ne disposent d’aucun établissement de santé.

Pour le peu d’hôpitaux et de centres de santé qui existent dans le pays, ils fonctionnent dans des conditions exécrables. D’ailleurs, il n’existe pas un seul hôpital en Haïti détenant l’accréditation internationale. C’est dire que la situation est grave. Plus d’hôpitaux, et de meilleures qualités de soins dans ceux existants : voilà un objectif à se fixer pour l’année qui vient.

Cet article a été publié par l’auteur au quotidien Le National le 27 décembre 2017

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Top 5 des jeunes Haïtiens les plus inspirants en 2017

Ces jeunes ont chacun, à leur façon, prouvé que tant que l’on a un rêve auquel on s’accroche, l’on peut réaliser de grands exploits dans sa vie. Dans un pays où les jeunes peinent à trouver des raisons de ne pas fuir, ceux-là se sont érigés comme des modèles de réussite parfaits. En 2017, ils ont représenté une source d’inspiration indéniable pour chaque jeune Haïtien.

  1. Michel Joseph, le chasseur de prix


Michel Joseph a été surnommé par Le Nouvelliste, l’un des quotidiens d’Haïti, « le chasseur de prix ». Justement, ce jeune journaliste reporteur  a déjà remporté trois prix internationaux. En 2017, il a été le premier lauréat dans la catégorie personnalité Radio TV et Internet, et lauréat du «Super Prix Jeunesse de la francophonie 3535 ». Ce mois de novembre, il vient d’être investi, en Guinée, président de la section haïtienne de l’Union de la Presse francophone.

Auparavant, Michel Joseph a déjà raflé plusieurs prix. Déjà en 2014, il a été élu « meilleur journaliste » de son média. En 2015, il a été le lauréat du Prix du Jeune Journaliste en Haïti, catégorie presse radiophonique, décerné par l’Organisation internationale de la Francophonie. En 2016, il a remporté le prix Chaffanjon du reportage multimédia.

Passionné du reportage, Michel Joseph s’est servi de ce genre journalistique pour servir son pays. Dans ses reportages, il traite de sujets à caractère social qui, le plus souvent, sont considérés comme tabous en Haïti. Ce journaliste de 29 ans aura longuement marqué sa génération ayant ouvert la voie à un journalisme utile en Haïti.

  1. Valéry Moïse, le leader du futur

C’est le président Barack Obama lui-même, en 2016, qui a présenté Valéry Moïse comme un modèle à suivre. L’organisation Diagnostik Group dont il est cofondateur a bel et bien séduit l’ancien président américain. C’est une organisation qui s’occupe de l’amélioration des soins de santé en faveur des enfants abandonnés dans le plus grand hôpital pédiatrique en Haïti. Le jeune médecin haïtien « s’était distingué tant par son caractère que par son intelligence. Il a été choisi comme un modèle de sérieux, de discipline, de passion et de compétence », écrit Le Nouvelliste.

Après cette distinction, Valéry Moïse a promis de continuer sa lutte pour le changement. Et son engagement a été salué en 2017 par l’europe. En effet, le jeune médecin a été invité par l’Europe à intégrer « le très restreint et prestigieux réseau des Nouveaux Leaders du Futur ». C’est un reseau lancé par la Fondation Universale via le Forum Crans Montana. Une grande première pour un Haïtien.

Valéry Moïse, conscient de sa responsabilité, profite de chaque instant de sa vie pour encourager la jeunesse de son pays. Sur les réseaux sociaux, il invite chaque jour les jeunes à croire en leurs capacités à faire d’Haïti un pays où il fait bon de vivre.

 

  1. Etzer Émile, la nouvelle tête qui brille dans le secteur économique

En 2017, Etzer Émile aura été le plus brillant jeune économiste et analyste de la politique économique d’Haïti. C’est avec brio que ce jeune de seulement 32 ans s’est taillé une place de choix dans cette sphère si restreinte en Haïti. Au moment où la loi de finances de l’exercice 2017-2018 faisait des remous dans l’actualité locale, Etzer Émile a été cet économiste qui a abordé la question avec le plus d’équilibre.

Quelques mois plus tard, il a présenté son essai économique qui, d’ailleurs, a été très sollicité dans le pays. Dans son livre  « Haïti a choisi de devenir pauvre. Les vingt raisons qui le prouvent », le jeune économiste passe en revue les choix individuels et collectifs post-Duvalier qui expliquent la déchéance haïtienne d’aujourd’hui. Il invite les jeunes de son pays à oser.

Pour en savoir plus sur son parcours, rendez-vous ici.

  1. Jean Max Dumond, le concepteur de Robot


Jean Max Dumond est certainement l’un des jeunes Haïtiens les plus inspirants. Avec quelques objets de récupération d’appareils électroniques, du papier mâché décoré, de PVC, ce jeune Haïtien de 31 ans est parvenu à fabriquer un robot intelligent en 2017. Robot Dumax est même capable d’échanger avec les humains. Quoi de plus inspirant ?

Le concepteur de « Robot Dumax » n’a pourtant fait aucune étude académique dans le domaine de la robotique. Mais ce jeune n’a pas voulu fuir son pays, et de préférence, a décidé d’innover. Autodidacte, Jean Max Dumond a inventé son robot pour aider son fils   de 3 ans, atteint de mutisme sélectif, d’apprendre le langage et de s’ouvrir à son entourage. Un objectif qu’il a atteint.

5. Mike Bellot, l’inventeur du sac à lumière


Après avoir perdu son cousin en Haïti, Mike Bellot a été inspiré pour inventer un sac à lumière.  En fait, son cousin a perdu sa vie dans un incendie causé par une bougie que celui-ci a utilisée pour l’éclairage. Cette tragédie l’a touché tellement qu’il a dû se lancer avec passion pour inventer ce sac. Pari gagné pour ce jeune de 26 ans qui est parti étudié les politiques mondiales et le commerce international à l’Université de Tamkang, à Taïwan.

Selon les informations qu’il a communiquées à Le Nouvelliste, « Solo Bag » est équipé d’un panneau solaire, d’une batterie intégrée, d’un port USB, d’un GPS pour la localisation et d’une lampe LED intégrée. Son sac permet aux étudiants qui n’ont pas accès à l’électricité d’étudier en toute sécurité et à moindre coût et de faire leur devoir durant la nuit. « Le sac fournit également suffisamment d’énergie pour qu’une famille recharge des téléphones mobiles, des tablettes et d’autres appareils électroniques », lit-on dans ce quotidien.


#MondoCorrespondance : L’identité nationale ne se réduit pas à la langue du pays

Bonjour Valentine,

J’ai reçu ta correspondance comme une planche de lumière, le sédatif qui m’a permis de garder mon calme et préserver les étincelles d’optimisme qui agonisaient en moi. J’adore ton attitude optimiste qui te fait rêver pour ton pays et pour toute l’Afrique. De toute façon, hommage au dernier thème du #MondoChallenge, le monde n’est pas si sombre que ça ! Le changement est possible partout, il suffit d’y croire et de s’y accrocher.

Concernant la crise qui affecte ton pays, laisse-moi te dire que le Cameroun n’est pas le seul pays à être frappé par un tel problème. Certains pays le gèrent mieux que d’autres. Ou peut-être que le problème ne prend pas la même tournure ici et ailleurs. En Haïti par exemple, nous avons deux langues officielles : le créole et le français. Ce dernier étant la langue de l’enseignement à tous les niveaux, même si la majorité des Haïtiens parlent créole. Le point commun avec ton pays, c’est que beaucoup de préjugés sont construits autour de cette question linguistique.

La langue est l’une des causes de discrimination et de stigmatisation en Haïti

En dépit de récents efforts, nous ne parvenons pas à nous défaire de cette malédiction « diglossique ». Qui sait bien parler français est intello. Il est considéré comme un tout autre type de personne. Malheur à celui qui ne sait pas parler français et qui a besoin de service dans un bureau quelconque (public ou privé). Et pourtant, bien que l’école se fasse en français, elle ne permet pas vraiment à l’élève haïtien de maîtriser la langue de Molière (on le dit à tort).

Encore aujourd’hui, la langue reste l’une des causes de discrimination et de stigmatisation chez moi. Nos sénateurs et députés n’ont pas cessé d’être des objets de moquerie sur les réseaux sociaux, le plus souvent pour des fautes de français dans les assemblées parlementaires.  Et ceux qui prennent la parole le plus souvent en créole sont considérés comme peu intelligents ou tout simplement incultes.

Créole vs français ?

Mais conjointement à cela, un autre problème surgit. Depuis quelques temps, nous avons une académie de langue créole en Haïti, l’AKA (Akademi Kreyòl Ayisyen, littéralement en français, Académie du Créole haïtien). De nombreux efforts sont multipliés chaque jour pour valoriser le créole, le présentant très souvent comme étant notre identité. Deux étudiants haïtiens et un étranger ont même déjà présenté leur mémoire en créole.

L’académie a même déjà présenté des travaux sur  la standardisation de l’orthographe du créole. Quoique personnellement je ne sois pas toujours d’accord avec l’idée d’une académie d’une langue (on ne fabrique pas une langue tout de même), je dois reconnaitre que l’académie, en œuvrant à la standardisation du créole, fait un travail utile sur ce point.

« Je ne comprends pas cette tendance à mettre deux langues sur un ring »

Le problème qui survient, c’est qu’en essayant de valoriser le créole, certaines personnes ont tendance à le camper en face du français. « Le créole est plus beau que le français », « le créole est une langue poétique », « le français est une langue importée », et patati, patata. Le créole étant considéré comme une langue inférieure depuis toujours dans le pays, aujourd’hui, ces personnes-là, on dirait, veulent renverser la tendance. Au créole maintenant de prendre le dessus sur son « rival » ! Je ne comprends pas cette tendance à mettre deux langues sur un ring.

Le plus grand prétexte utilisé est que le créole doit être considéré comme l’identité de l’être haïtien. Une sorte de « nationalisme essentialiste » prend forme comme le décrit le linguiste – terminologue Robert Berrouët-Oriol. En ce sens, on est haïtien que par la langue créole. Réductionniste, non ?

Au-delà de vos langues, vous êtes Camerounais

Cela me fait penser à la situation que tu m’as présentée dans ta dernière correspondance. Si j’ai bien compris, certains Camerounais pensent que c’est leur langue (français ou anglais) qui leur concède leur identité camerounaise, en ce sens que l’anglophone se voit comme un camerounais, ce que le francophone n’est pas, et vice versa. Je suis sûr qu’au-delà de votre langue, d’autres éléments vous rassemblent et vous lient l’un à l’autre. Car, je répète ici le linguiste précité, « ce n’est pas la langue en soi qui constitue l’identité : […] elle exprime un corps d’idées qu’émet une communauté linguistique dans un contexte donné et à un moment précis de son histoire pour nommer l’identité nationale ainsi que les rapports sociaux à l’œuvre dans un territoire. »

Patrick Charaudeau, dans son texte « Langues, discours et identités culturelles » nous explique que « les communautés se construisent autour de valeurs symboliques qui les inscrivent dans des filiations historiques diverses ». Il s’ensuit pour affirmer en revanche que « ce sont des communautés qui sont davantage des « communautés de discours » que des communautés linguistiques ».

Et la question que ce penseur s’est posée nous aide à mieux nous approcher de la crise de ton pays. « Est-ce qu’on change de culture quand on change de langue ? Est-ce qu’un Basque, un Catalan, un Breton ou un Corse – pour ne prendre que quelques exemples, brûlants il est vrai –, changent de culture lorsqu’ils parlent le basque, le catalan, le breton ou le corse ? », s’interroge Charaudeau.

« Ce n’est pas la langue qui témoigne des spécificités culturelles, mais le discours (les usages) »

Charaudeau nous explique un peu plus clairement ce qui suit : « Malgré des idées tenaces concernant l’existence et le rôle que peut jouer une langue par rapport à l’identité d’une communauté sociale, l’identité linguistique ne doit pas être confondue avec l’identité discursive. Cela veut dire que ce n’est pas la langue qui témoigne des spécificités culturelles, mais le discours (les usages). »

À l’État de ton pays d’élaborer une politique linguistique conforme à la réalité du pays où chacun aura la même chance peu importe sa langue. Voilà pour ce qui est de ma réaction par rapport à cette crise que traverse ton pays.

Au départ, j’ai voulu te parler de l’un des lieux touristiques de mon pays, mais au final, ma plume s’est affranchie. Elle écrit ce qu’elle veut on dirait ! Rire ! Je devrai donc faire ça dans un autre billet. Mais dis-moi, comment traite-on de cette question dans les médias de chez toi ? Qu’en disent les intellectuels du pays ?

Salut ! J’attends ta prochaine #MondoCorrespondance !


#MondoCorrespondance : « J’ai du mal à espérer »

Note de l’équipe de Mondoblog : #MondoCorrespondance est un échange de lettres entre Mondoblogueurs de différents pays, sous forme de billets, lancé par Ritzamarum Zétrenne

 

Salut mon amie,

Je ne peux malencontreusement pas répéter la formule rituelle « je suis heureux de t’écrire cette lettre » en m’adressant à toi aujourd’hui. Pour te dire vrai, je n’ai que peine et désolation devant mon ordinateur en t’adressant cette correspondance. C’est l’état d’esprit naturel de tous les jeunes de mon pays à chaque fois qu’ils commencent à parler d’Haïti.

Hier, le 17 octobre, c’était la  commémoration du 211ème anniversaire de l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines, le fondateur de la patrie. Aucun doute qu’on t’a probablement appris que c’est Toussaint Louverture le héros qui nous a libérés de l’esclavage. Je ne sais pour quelle raison l’histoire occidentale a toujours tenté d’hachurer le nom de Dessalines comme le père de la révolution haïtienne de 1804. Mais c’est bien lui le héros de la Crête-à-Pierrot qui a mis fin au système esclavagiste à Saint-Domingue (ancien nom de la partie française de l’ile d’Haïti, actuelle république d’Haïti.) Toussaint Louverture n’en est que le précurseur. Bref.

Au moment où le président de la république commémore l’assassinat honteux de Jean-Jacques Dessalines, des milliers d’haïtiens ont gagné les rues ce 17 octobre 2017. Les premières décisions du président de la république n’ont pas manqué de faire des bouderies. Le 17 octobre est un jour symbolique pour les manifestants. C’est le jour de la mort d’un héros. Celui qui a voulu éliminer toutes formes d’inégalités entre les haïtiens.  Dieu sait combien il a échoué. A l’heure qu’il est, son âme ne se repose forcément pas en paix.

Deux-cents-onze ans après la mort de Dessalines, les luttes pour le pouvoir continuent de fragiliser l’existence des haïtiens. Le pouvoir est devenu une sorte de gâteau dont chacun veut trouver la meilleure tranche. Pendant ce temps, le peuple souffre quasiment privé de tous les services sociaux de base.

« … un pays où il est plus facile de mourir de faim que de trouver une raison de sourire »

Nous sommes dans un pays où il est plus facile de mourir de faim que de trouver une raison de sourire. Dans ce pays, la majorité de la population vit sous le seuil de la pauvreté. C’est insolite mais, le pays dont je te parle fait partie des pays au monde où la nourriture quotidienne coûte le plus cher.

Mon amie, j’ignore comment ça se passe dans ton pays, mais chez moi les jeunes ont peur du lendemain. On vit dans l’incertitude que la situation du pays puisse s’améliorer. La société nous demande de faire des études, mais ma sœur, elle nous rejette après avec nos diplômes. Nos cerveaux fuient le pays à cause de cela. Chômage, insécurité…beaucoup de jeunes veulent aller loin de ce pays même si au fond d’eux, ils aiment leur patrie. Ils sont plusieurs dizaines de milliers d’haïtiens à avoir quitté le pays pour se rendre au Chili  ces deux dernières années. Ceux qui sont partis pour le Brésil, les États-Unis et le Canada ne sont pas moins nombreux. Nous n’avons pourtant pas un pays en guerre. Les gens partent parce qu’ils ont du mal à espérer un avenir meilleur ici.

Sais-tu qu’il m’arrive à moi aussi de perdre tout espoir d’un lendemain meilleur ? Chère amie, les politiciens nous ont tout pris ici. Nous avons quasiment tout perdu, mêmes nos illusions. Nous vivons sans un minimum d’espoir. Nous avons tous du mal à espérer.

Je te raconterai la suite dans une prochaine correspondance. Je m’arrête ici pour aujourd’hui. Je suis sûr que tu as plein de choses à me raconter sur ton pays. J’ai hâte de te lire.

Salut !